(...)
Traversant la foule à
pas souples et énergiques, les jumeaux faisaient se tourner les
regards vers eux. Les attentions se déposaient sur leur duo au
charisme évident. Leurs cheveux noirs et libres, flottants sur leurs
épaules accentuaient grandement leurs côté efféminés, tandis que
la finesse de leur corps faisaient se retourner des regards étonnés.
Filles ou garçons? Depuis leur entrée à l'école, Elyo et Willan
avaient fait face à cette question mille fois répétée pour eux;
et très souvent prononcée avec cette curieuse sensation de malaise.
Ils ne s'étaient jamais incommodés de cela, bien au contraire:
s'accaparant cette différence comme une force. Les garçons avaient
anticipé leur adolescence en se choisissant des styles bien
différent l'un de l'autre. Elyo adorait exhiber ce corps fin et
svelte, qu'il entretenait d'ailleurs avec la gymnastique, communément
à Willan, mais qui lui, se préférait un style plus hip-hop. Baggy
ou sarouels, le cadet des Spirtyans appréciait les vêtements amples
et de couleurs criardes, alors qu'Elyo leur préférait les effets
noirs et moulants .De ce fait, l'intégration aux autres n'avait pas
été, et n'était pas toujours facile. Pour de nombreux adolescents
de leur âge, ils étaient tous les deux stéréotypés « gays ».
Et leur androgynie attirait souvent les quolibets ou autres noms
d'oiseaux bien moins polis.
Riant et discutant entre
eux, les jumeaux visitaient le marché aux puces depuis quelques
minutes, quand Elyo heurta un homme grand et brun. Ce dernier lui
jeta un bref regard et lui marmonna une excuse avant de s'écarter et
de s'éloigner ; traversant la foule comme un couteau pourrait
traverser le beurre,-en vue de sa carrure de géant. Elyo se raidit,
et força Willan à s'arrêter de marcher. Il ne lâchait pas l'homme
du regard.
- Willan! Je suis persuadé que je connais ce type.
- Pardon?
Les yeux verts de Willan
vrillèrent sur le dos de l'homme, comme un missile à tête
chercheuse. L'homme, en dépit de sa taille, avait un profil humain
typique : la trentaine, ou presque, des cheveux bruns et cette
stature de carambar. Son jumeau trépignait, cherchant à ne pas
perdre de vue le géant qui s'éloignait. Willan, incertain, reposa
ses yeux sur Elyo.
- Tu es sûr? Qu'est-ce que... ?
- Oui! Dans un rêve! Écoute-moi, on devrait le suivre.
- Si tu veux...
- Allez, Will ! Prends ça comme un jeu !
Ensemble, les jumeaux
étaient des gamins, fonceurs et irréfléchis. Ils se lançaient
souvent ce genre de paris stupides, veillant à toujours atteindre
des records futiles. Mais séparés, ils s'accordaient dans une
complémentarité étonnante. Willan était calme et distingué; il
adorait lire et se cultivait souvent en plongeant le nez dans une
encyclopédie, alors qu'Elyo préférait se dépenser sur un terrain
de sport. Il était plus fonceur, moins averti que son frère; mais
aussi plus charismatique, et plus souriant.
(...)
Ramassés dans la foule
comme des animaux traqueurs, les jumeaux se collaient, pour ne pas se
perdre de vu l'un de l'autre, tandis qu'ils filaient l'homme brun.
Dans l'esprit d'Elyo, -animé et complexe-, le prénom de Thomas
revenait souvent. Nonobstant, il était bien incapable de se rappeler
d'où il connaissait l'identité de cette homme à la carrure
d'armoire à glace. Ce dernier quittait en douceur les limites du
marché aux puces, gagnant les quartiers environnants la place sur
laquelle était installés tous les étals et les stands. Jetant un
regard à son frère, Elyo accéléra son allure, se mettant à
courir entre les passants, de manière à ne pas placer plus d'écart
que suffisant entre le mystérieux géant brun et eux. Lorsqu'ils
débouchèrent dans un quartier silencieux et vide, Willan attrapa
Elyo par le bras, le glissant dans le pan d'un mur, tandis que
l'homme se retournait vers eux. Camouflés dans l'ombre, invisibles
au regard, les jumeaux Spirtyans scrutèrent le visage de celui qui
se faisait leur jeu, aujourd'hui. Pour eux, cette filature n'avait
pas plus d'importance que cela, le but principal étant de chasser
l'ennui. Accroupi près du sol, collés l'un à l'autre, à observer
cet homme méfiant, relevait de la plus grande partie de jeu qui
soit.
Il avait un visage maigre
et carré, à la mâchoire découpée, sous sa peau caucasienne. Une
vague barbiche ornait son menton, et ses yeux sombres s'agitaient
dans les orbites. Ces dernières étaient soulignées par deux gros
cernes violacés, ce qui, avec ses cheveux bruns, en bataille, lui
offrait l'image d'un sorcier, ou d'un magicien noir. Mais sitôt
Elyo eut pensé ces mots que l'expression intimidante de l'homme
disparut, laissant place à une grande douceur, venue s'installer sur
ses traits, comme familièrement. Il avait l'air...si gentil,
soudain. Silencieux, les jumeaux attendirent que l'homme se détourne,
puis ayant bifurqué au coin d'une rue, se redressèrent pour se
jeter sur ses traces. Ils ne mirent cependant pas longtemps à
comprendre que l'homme, en leur échappant des yeux, avait disparu.
La ruelle dans laquelle ils s'étaient engouffrés était on ne
pouvait plus vide. S'interrogeant du regard, les jumeaux avancèrent
lentement entre les murs resserrés. C'était si excitant... cette
étrange situation. La journée qui avait débuté de manière morne,
se prolongeant sur des activités banales, maisla filature qui
s'était vu naître de l'esprit ludique d'Elyo venait cependant de
briser la monotonie de cette journée orageuse. Les jumeaux
avançaient en travers des secondes, progressant dans une aventure
les faisant frémir de plaisir. Quelle joie que d'explorer le
mystère, de flatter l'étrange. Le suspens s'était collé à leur
peau, dans une étreinte séductrice.
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