lundi 4 février 2013

2. Remonter à la surface.


(...)

Traversant la foule à pas souples et énergiques, les jumeaux faisaient se tourner les regards vers eux. Les attentions se déposaient sur leur duo au charisme évident. Leurs cheveux noirs et libres, flottants sur leurs épaules accentuaient grandement leurs côté efféminés, tandis que la finesse de leur corps faisaient se retourner des regards étonnés. Filles ou garçons? Depuis leur entrée à l'école, Elyo et Willan avaient fait face à cette question mille fois répétée pour eux; et très souvent prononcée avec cette curieuse sensation de malaise. Ils ne s'étaient jamais incommodés de cela, bien au contraire: s'accaparant cette différence comme une force. Les garçons avaient anticipé leur adolescence en se choisissant des styles bien différent l'un de l'autre. Elyo adorait exhiber ce corps fin et svelte, qu'il entretenait d'ailleurs avec la gymnastique, communément à Willan, mais qui lui, se préférait un style plus hip-hop. Baggy ou sarouels, le cadet des Spirtyans appréciait les vêtements amples et de couleurs criardes, alors qu'Elyo leur préférait les effets noirs et moulants .De ce fait, l'intégration aux autres n'avait pas été, et n'était pas toujours facile. Pour de nombreux adolescents de leur âge, ils étaient tous les deux stéréotypés « gays ». Et leur androgynie attirait souvent les quolibets ou autres noms d'oiseaux bien moins polis.
Riant et discutant entre eux, les jumeaux visitaient le marché aux puces depuis quelques minutes, quand Elyo heurta un homme grand et brun. Ce dernier lui jeta un bref regard et lui marmonna une excuse avant de s'écarter et de s'éloigner ; traversant la foule comme un couteau pourrait traverser le beurre,-en vue de sa carrure de géant. Elyo se raidit, et força Willan à s'arrêter de marcher. Il ne lâchait pas l'homme du regard.
  • Willan! Je suis persuadé que je connais ce type.
  • Pardon?
Les yeux verts de Willan vrillèrent sur le dos de l'homme, comme un missile à tête chercheuse. L'homme, en dépit de sa taille, avait un profil humain typique : la trentaine, ou presque, des cheveux bruns et cette stature de carambar. Son jumeau trépignait, cherchant à ne pas perdre de vue le géant qui s'éloignait. Willan, incertain, reposa ses yeux sur Elyo.
  • Tu es sûr? Qu'est-ce que... ?
  • Oui! Dans un rêve! Écoute-moi, on devrait le suivre.
  • Si tu veux...
  • Allez, Will ! Prends ça comme un jeu !

Ensemble, les jumeaux étaient des gamins, fonceurs et irréfléchis. Ils se lançaient souvent ce genre de paris stupides, veillant à toujours atteindre des records futiles. Mais séparés, ils s'accordaient dans une complémentarité étonnante. Willan était calme et distingué; il adorait lire et se cultivait souvent en plongeant le nez dans une encyclopédie, alors qu'Elyo préférait se dépenser sur un terrain de sport. Il était plus fonceur, moins averti que son frère; mais aussi plus charismatique, et plus souriant.

(...)

Ramassés dans la foule comme des animaux traqueurs, les jumeaux se collaient, pour ne pas se perdre de vu l'un de l'autre, tandis qu'ils filaient l'homme brun. Dans l'esprit d'Elyo, -animé et complexe-, le prénom de Thomas revenait souvent. Nonobstant, il était bien incapable de se rappeler d'où il connaissait l'identité de cette homme à la carrure d'armoire à glace. Ce dernier quittait en douceur les limites du marché aux puces, gagnant les quartiers environnants la place sur laquelle était installés tous les étals et les stands. Jetant un regard à son frère, Elyo accéléra son allure, se mettant à courir entre les passants, de manière à ne pas placer plus d'écart que suffisant entre le mystérieux géant brun et eux. Lorsqu'ils débouchèrent dans un quartier silencieux et vide, Willan attrapa Elyo par le bras, le glissant dans le pan d'un mur, tandis que l'homme se retournait vers eux. Camouflés dans l'ombre, invisibles au regard, les jumeaux Spirtyans scrutèrent le visage de celui qui se faisait leur jeu, aujourd'hui. Pour eux, cette filature n'avait pas plus d'importance que cela, le but principal étant de chasser l'ennui. Accroupi près du sol, collés l'un à l'autre, à observer cet homme méfiant, relevait de la plus grande partie de jeu qui soit.
Il avait un visage maigre et carré, à la mâchoire découpée, sous sa peau caucasienne. Une vague barbiche ornait son menton, et ses yeux sombres s'agitaient dans les orbites. Ces dernières étaient soulignées par deux gros cernes violacés, ce qui, avec ses cheveux bruns, en bataille, lui offrait l'image d'un sorcier, ou d'un magicien noir. Mais sitôt Elyo eut pensé ces mots que l'expression intimidante de l'homme disparut, laissant place à une grande douceur, venue s'installer sur ses traits, comme familièrement. Il avait l'air...si gentil, soudain. Silencieux, les jumeaux attendirent que l'homme se détourne, puis ayant bifurqué au coin d'une rue, se redressèrent pour se jeter sur ses traces. Ils ne mirent cependant pas longtemps à comprendre que l'homme, en leur échappant des yeux, avait disparu. La ruelle dans laquelle ils s'étaient engouffrés était on ne pouvait plus vide. S'interrogeant du regard, les jumeaux avancèrent lentement entre les murs resserrés. C'était si excitant... cette étrange situation. La journée qui avait débuté de manière morne, se prolongeant sur des activités banales, maisla filature qui s'était vu naître de l'esprit ludique d'Elyo venait cependant de briser la monotonie de cette journée orageuse. Les jumeaux avançaient en travers des secondes, progressant dans une aventure les faisant frémir de plaisir. Quelle joie que d'explorer le mystère, de flatter l'étrange. Le suspens s'était collé à leur peau, dans une étreinte séductrice.

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