ENTRELACS
HANDSCHRIFT.
Go
into the dream.
Prologue.
« A propos,
t'ai-je dit ce qui m'avait accroché à Pythagore? Il a inventé le
mot amitié; le savais-tu ? Comme on lui demandait ce qu'est un ami,
il répondit: « Celui qui est l'autre moi-même, comme 220 et
284. ». Deux nombres sont « amis » ou « amiables »,
si chacun est la somme de tout ce qui mesure l'autre. Les deux
nombres amis les plus célèbres du Panthéon pythagoricien sont 220
et 284. Ils font une belle paire. Vérifie-le, si tu as le temps. Et
nous deux, sommes nous des « amis »? Qu'est ce qui te
mesure, Pierre? Et moi? Le temps est arrivé, peut être, de faire la
somme de ce qui nous a mesurés. ».
Elgard Grosrouvre, le
théorème du perroquet. Denis Guedj.
(…)
Thomas
Teufel a vingt quatre ans.
La
seule chose notable que l’on peut remarquer de lui dans la rue est
sa stature très haute.
Mis
à part cette caractéristique, Thomas ressemble à n’importe qui.
Pianotant de ses longs
doigts, Thomas rit tout seul. Dans sa bulle. Dont l'univers s'étale,
immense, fruit de son intelligence incroyable. Son quotient
intellectuel s'élève à plus de cent soixante.
Il est diaboliquement
intelligent.
Thomas Teufel est
allemand. Informaticien. Adulte. Sa précocité fit de lui un garçon
silencieux, puis un adolescent violent. Adulte, il devint on ne peut
plus charmant. Mais son intelligence est insupportable. Très
précisément.
Dès l'instant où il
devient un personnage de cette histoire, il vient juste de lire une
lettre cacheté par un sceau de cire, ciselant la forme d'un masque
de Venise.
Le serpent était
silencieux, et rampait au travers du salon, à la manière d'un
spectre. Il était totalement déplacé dans cet endroit aux parures
modernes et civilisées; ondulant sur le sol du salon, sans le
moindre bruit, craignant certainement de se faire attrapé dans ce
endroit. Mais c'était la nuit, et personne ne se trouvait dans la
pièce. Il glissa jusqu'à dans le couloir, bifurquant pour pénétrer
dans la chambre la plus éloignée, et glissant par l'interstice
d'une porte entrouverte, arriva ainsi dans la chambre d'Elyo et de
Willan.
Les adolescents étaient
jumeaux, et avaient quinze ans. Endormis, respectivement dans leur
lit, ils laissaient apparaître sous le monticule de draps que
formait leur corps, leur profil atypique. Adoptés, ils avaient des
origines indiennes; leur peau métisse en témoignait. De longs
cheveux noirs, courant sur leurs épaules encadraient leurs visages.
Ces derniers, fins et harmonieux, exhibaient cette même beauté
juvénile, semblable à celle des petites filles. De longs cils,
assombrissant un regard vert, et des lèvres pleines, aux commissures
pointues. Sans la pomme d'Adam qui remontait doucement, parfois, dans
le sommeil des jumeaux, ils auraient pu passer pour des filles. De
ce fait, les jumeaux avaient cette particularité physique d'être
androgynes.
Le serpent se releva sur
ses anneau puissants, et doucement, monta sur le lit, glissant sur
les draps.
Il venait de retrouver
les deux enfants, ceux qu'il cherchait depuis dix ans.
Le dieu Ananta en serait
ravi.
(...)
Ouvrant grand les yeux,
d'un coup, le jeune métis aux yeux verts, l’aîné, Elyo, sentit
les filaments de la lumière solaire pénétrer ses iris, et il
papillonna rapidement des paupières pour calmer sa brève cécité.
La voix de son jumeau l'interpella aussitôt.
- Je me remets de mon horrible rêve et j'arrive. Tsss, je hais ce soleil. ...Raaah, c'était horrible à la fin!
« Elyo? Tu es
réveillé? On est samedi. Il y a marché aux puces! On a dit qu'on
y allait, je te rappelle...si tu dors jusqu'à midi, tout les trucs
intéressants auront foutu le camp, darling.
- ... une fille ne tombait pas sous ton charme ? Demanda très innocemment Willan, avec le plus grand sérieux d'un enfant en bas âge. »
L'oreiller d'Elyo prouva
la théorie selon laquelle un objet envoyé par un Elyo furibond
retombe toujours, après avoir suivi une parabole très courte, dans
la tête hilare au jumeau Willan.
« Espèce de...
- Raton laveur? Proposa Willan, tout en conservant un certain sérieux, et s'approchant de l'armoire de leur chambre. Aujourd'hui, je veux me faire beau pour que plein de filles tombent comme des mouches quand je traverserai la rue.
- Elles tomberont quand elles verront ce que tu achète...Bel-ami, Boule de suif, Le Colonel Chabert... timbré, va!
- T-t-t! La culture du réalisme est un plan très sérieux pour draguer les jouvencelles, mon cher Elyo, d'ailleurs, avec ta tête de déterré, tu ne risques pas de faire des hystériques...
- J'ai mal dormi...un foutu rêve où on se retrouvait avec cinquante types dans un collège BC-BG, où ils voulaient étudier les jeunes, et à la fin, il y avait un mec aux cheveux rouges qui rentrait dans notre chambre.
- Super angoissant. Marmonna Willan en étudiant son reflet dans la vitre. Je mets laquelle? La chemise blanche ou la noire?
- La verte à points roses... »
Elyo reposa sa tête sur
un des oreillers restant et resta silencieux quelques minutes. Un
vague sentiment de tension régnait dans la chambre, tandis que le
jeune homme s'appliquait à écouter les bruits produits par les
déplacements de son jumeau quand un sourire barra malgré lui ses
lèvres, et qu'il se releva sur un coude, pour apostropher son petit
frère.
- Et arrête de me piquer mon sens de l'humour, Willan!
Le benjamin ricana.
(…)
Une chemise à manches
courtes, un boléro noir en cuir, un pantalon de velours moulant, et
des Dr Martens noir délacées au niveau des chevilles, Elyo
regardait d'un œil attentif, crâneur à souhait, les passants.
Jeune dandy moderne, l'aîné des jumeaux cultivait un soin
particulier à mettre en avant son corps trop souple pour le genre
masculin. Willan en revanche s'était habillé de manière plus
sobre, préférant une chemise simple, et un jean discret. Accoudés
a la statue d'un maréchal dont ils n'avaient su retenir le nom, les
jumeaux attendaient patiemment ; leur mère discutant avec un
marchand sur un objet antique d'une rareté "absoluuuuuue"
selon elle. Elle les avait même sermonné, agrémentant la qualité
prix de l'objet en question par un commentaire se résumant à :"mais
vous ne pouvez pas comprendre ce n’est pas de votre époque!"
L'objet en question était un disque vinyle, ce qui faisait
particulièrement rire les jumeaux.
Sa musique branchée avec
modération dans les écouteurs, Elyo fixait d'un regard perçant un
chien, au pelage sable, remuer mollement la queue. L'ennui le
rongeait, et l'échange de regard qu'il partageait avec le chien
relevait de la morosité pure. Le labrador souleva ses lourdes
paupières pour partager une expression presque condescendant. Elyo
soupira, frustré. Les secondes passaient, et Anna, leur mère,
continuait de discuter avec le marchant. Quel ennui !
Pendant un instant, Elyo
imagina le mâtin ouvrir une gueule écumante, muter en un monstre
dans le style shinigami version Ryuk, et se jeter sur les disques
vinyles dans l'intention de réduire ces objets au stade « d'espèce
en voie de disparition. »
Le jeune métis eut un
ricanement. Balançant ses jambes dans le vide, il tourna la tête
vers le ciel. Orageux. Sombre, mais chaud. C'était exactement le
genre de temps qu'il appréçiait. Une omnipotence solaire lui créait
des migraines, et il avait en horreur les jours d'été trop
ensoleillés. Comble de la malchance, il était né un onze août,
selon les papiers d'identité qu'on avait fourni à sa mère,
lorsqu'elle avait engagé les procédures d'adoption à l'égard des
jumeaux.. Perdu dans ses pensées, Elyo releva ses yeux sylves vers
le ciel, s'amusant à admirer les formes nuageuses. Les minutes
passaient, maintenant, et toujours ce même ennui.
Ses pupilles se figèrent
sur un étrange nuage en forme de lapin blanc. Une idée naquit
alors.
- Willan ?
Les garçons étaient
jumeaux; une facilité de la compréhension existait entre eux, se
passant de mot. Parfois, ils avaient juste à se regarder pour
deviner les pensées de l'autre. Comme à cet instant là; Willan, le
benjamin, répondit en souriant à la proposition silencieuse d'Elyo,
cette dernière consistant à s'éloigner de l'étal de vinyle. Son
jumeau en fut ravi. Ils quittèrent lestement le socle de la statue
du Maréchal, et passant à côté du chien, lui firent relever la
tête, intrigué. Son regard ambré les accompagna quelques secondes,
avant qu'ils ne disparaissent, mêlés à la foule. Puis le canidé
reposa sa tête sur le sol, et particulièrement heureux d'être
chien, soupira de bonheur, en refermant ses yeux.
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