lundi 4 février 2013

1. Après midi orageux sur un marché aux puces.























ENTRELACS

HANDSCHRIFT.

Go into the dream.



























Prologue.





« A propos, t'ai-je dit ce qui m'avait accroché à Pythagore? Il a inventé le mot amitié; le savais-tu ? Comme on lui demandait ce qu'est un ami, il répondit: « Celui qui est l'autre moi-même, comme 220 et 284. ». Deux nombres sont « amis » ou « amiables », si chacun est la somme de tout ce qui mesure l'autre. Les deux nombres amis les plus célèbres du Panthéon pythagoricien sont 220 et 284. Ils font une belle paire. Vérifie-le, si tu as le temps. Et nous deux, sommes nous des « amis »? Qu'est ce qui te mesure, Pierre? Et moi? Le temps est arrivé, peut être, de faire la somme de ce qui nous a mesurés. ».



Elgard Grosrouvre, le théorème du perroquet. Denis Guedj.



(…)



Thomas Teufel a vingt quatre ans.

La seule chose notable que l’on peut remarquer de lui dans la rue est sa stature très haute.

Mis à part cette caractéristique, Thomas ressemble à n’importe qui.



Pianotant de ses longs doigts, Thomas rit tout seul. Dans sa bulle. Dont l'univers s'étale, immense, fruit de son intelligence incroyable. Son quotient intellectuel s'élève à plus de cent soixante.

Il est diaboliquement intelligent.



Thomas Teufel est allemand. Informaticien. Adulte. Sa précocité fit de lui un garçon silencieux, puis un adolescent violent. Adulte, il devint on ne peut plus charmant. Mais son intelligence est insupportable. Très précisément.



Dès l'instant où il devient un personnage de cette histoire, il vient juste de lire une lettre cacheté par un sceau de cire, ciselant la forme d'un masque de Venise.

















Le serpent était silencieux, et rampait au travers du salon, à la manière d'un spectre. Il était totalement déplacé dans cet endroit aux parures modernes et civilisées; ondulant sur le sol du salon, sans le moindre bruit, craignant certainement de se faire attrapé dans ce endroit. Mais c'était la nuit, et personne ne se trouvait dans la pièce. Il glissa jusqu'à dans le couloir, bifurquant pour pénétrer dans la chambre la plus éloignée, et glissant par l'interstice d'une porte entrouverte, arriva ainsi dans la chambre d'Elyo et de Willan.

Les adolescents étaient jumeaux, et avaient quinze ans. Endormis, respectivement dans leur lit, ils laissaient apparaître sous le monticule de draps que formait leur corps, leur profil atypique. Adoptés, ils avaient des origines indiennes; leur peau métisse en témoignait. De longs cheveux noirs, courant sur leurs épaules encadraient leurs visages. Ces derniers, fins et harmonieux, exhibaient cette même beauté juvénile, semblable à celle des petites filles. De longs cils, assombrissant un regard vert, et des lèvres pleines, aux commissures pointues. Sans la pomme d'Adam qui remontait doucement, parfois, dans le sommeil des jumeaux, ils auraient pu passer pour des filles. De ce fait, les jumeaux avaient cette particularité physique d'être androgynes.

Le serpent se releva sur ses anneau puissants, et doucement, monta sur le lit, glissant sur les draps.

Il venait de retrouver les deux enfants, ceux qu'il cherchait depuis dix ans.

Le dieu Ananta en serait ravi.





(...)



Ouvrant grand les yeux, d'un coup, le jeune métis aux yeux verts, l’aîné, Elyo, sentit les filaments de la lumière solaire pénétrer ses iris, et il papillonna rapidement des paupières pour calmer sa brève cécité. La voix de son jumeau l'interpella aussitôt.

    « Elyo? Tu es réveillé? On est samedi. Il y a marché aux puces! On a dit qu'on y allait, je te rappelle...si tu dors jusqu'à midi, tout les trucs intéressants auront foutu le camp, darling.
  • Je me remets de mon horrible rêve et j'arrive. Tsss, je hais ce soleil. ...Raaah, c'était horrible à la fin!

  • ... une fille ne tombait pas sous ton charme ? Demanda très innocemment Willan, avec le plus grand sérieux d'un enfant en bas âge. »

L'oreiller d'Elyo prouva la théorie selon laquelle un objet envoyé par un Elyo furibond retombe toujours, après avoir suivi une parabole très courte, dans la tête hilare au jumeau Willan.

    « Espèce de...

  • Raton laveur? Proposa Willan, tout en conservant un certain sérieux, et s'approchant de l'armoire de leur chambre. Aujourd'hui, je veux me faire beau pour que plein de filles tombent comme des mouches quand je traverserai la rue.

  • Elles tomberont quand elles verront ce que tu achète...Bel-ami, Boule de suif, Le Colonel Chabert... timbré, va!

  • T-t-t! La culture du réalisme est un plan très sérieux pour draguer les jouvencelles, mon cher Elyo, d'ailleurs, avec ta tête de déterré, tu ne risques pas de faire des hystériques...

  • J'ai mal dormi...un foutu rêve où on se retrouvait avec cinquante types dans un collège BC-BG, où ils voulaient étudier les jeunes, et à la fin, il y avait un mec aux cheveux rouges qui rentrait dans notre chambre.

  • Super angoissant. Marmonna Willan en étudiant son reflet dans la vitre. Je mets laquelle? La chemise blanche ou la noire?

  • La verte à points roses... »

Elyo reposa sa tête sur un des oreillers restant et resta silencieux quelques minutes. Un vague sentiment de tension régnait dans la chambre, tandis que le jeune homme s'appliquait à écouter les bruits produits par les déplacements de son jumeau quand un sourire barra malgré lui ses lèvres, et qu'il se releva sur un coude, pour apostropher son petit frère.

  • Et arrête de me piquer mon sens de l'humour, Willan!

Le benjamin ricana.



(…)



Une chemise à manches courtes, un boléro noir en cuir, un pantalon de velours moulant, et des Dr Martens noir délacées au niveau des chevilles, Elyo regardait d'un œil attentif, crâneur à souhait, les passants. Jeune dandy moderne, l'aîné des jumeaux cultivait un soin particulier à mettre en avant son corps trop souple pour le genre masculin. Willan en revanche s'était habillé de manière plus sobre, préférant une chemise simple, et un jean discret. Accoudés a la statue d'un maréchal dont ils n'avaient su retenir le nom, les jumeaux attendaient patiemment ; leur mère discutant avec un marchand sur un objet antique d'une rareté "absoluuuuuue" selon elle. Elle les avait même sermonné, agrémentant la qualité prix de l'objet en question par un commentaire se résumant à :"mais vous ne pouvez pas comprendre ce n’est pas de votre époque!" L'objet en question était un disque vinyle, ce qui faisait particulièrement rire les jumeaux.



Sa musique branchée avec modération dans les écouteurs, Elyo fixait d'un regard perçant un chien, au pelage sable, remuer mollement la queue. L'ennui le rongeait, et l'échange de regard qu'il partageait avec le chien relevait de la morosité pure. Le labrador souleva ses lourdes paupières pour partager une expression presque condescendant. Elyo soupira, frustré. Les secondes passaient, et Anna, leur mère, continuait de discuter avec le marchant. Quel ennui !

Pendant un instant, Elyo imagina le mâtin ouvrir une gueule écumante, muter en un monstre dans le style shinigami version Ryuk, et se jeter sur les disques vinyles dans l'intention de réduire ces objets au stade « d'espèce en voie de disparition. »

Le jeune métis eut un ricanement. Balançant ses jambes dans le vide, il tourna la tête vers le ciel. Orageux. Sombre, mais chaud. C'était exactement le genre de temps qu'il appréçiait. Une omnipotence solaire lui créait des migraines, et il avait en horreur les jours d'été trop ensoleillés. Comble de la malchance, il était né un onze août, selon les papiers d'identité qu'on avait fourni à sa mère, lorsqu'elle avait engagé les procédures d'adoption à l'égard des jumeaux.. Perdu dans ses pensées, Elyo releva ses yeux sylves vers le ciel, s'amusant à admirer les formes nuageuses. Les minutes passaient, maintenant, et toujours ce même ennui.

Ses pupilles se figèrent sur un étrange nuage en forme de lapin blanc. Une idée naquit alors.

  • Willan ?

Les garçons étaient jumeaux; une facilité de la compréhension existait entre eux, se passant de mot. Parfois, ils avaient juste à se regarder pour deviner les pensées de l'autre. Comme à cet instant là; Willan, le benjamin, répondit en souriant à la proposition silencieuse d'Elyo, cette dernière consistant à s'éloigner de l'étal de vinyle. Son jumeau en fut ravi. Ils quittèrent lestement le socle de la statue du Maréchal, et passant à côté du chien, lui firent relever la tête, intrigué. Son regard ambré les accompagna quelques secondes, avant qu'ils ne disparaissent, mêlés à la foule. Puis le canidé reposa sa tête sur le sol, et particulièrement heureux d'être chien, soupira de bonheur, en refermant ses yeux.

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