vendredi 8 février 2013

19. Récit de Bleue (2)

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Tout l'orphelinat fut mis au courant de l’arrivée de ce petit garçon, qui apparemment, n'était pas un pensionnaire. Bleue eut le droit d'aller le voir de temps en temps, a l'infirmerie, mais au fur et a mesure, les infirmières étaient de plus en plus désolées, et affichaient des mines sombres. Trois jours après, Mlle Rosa prit Bleue en partie.
  • Tu sais, Bleue, je sais que tu t’étais attaché à ce petit garçon, mais, il va falloir que tu te prépare. Il faudra que tu sois forte, ma chérie.
  • Pourquoi ?
  • Il ne peut plus lutter, Bleue, il est trop fatigué, trop malade, mais en partant, il n'aura plus mal, et il deviendra un ange. Un oiseau, Bleue, et il sera plus heureux qu'ici.
  • Je ne le crois pas. Il voulait qu'on le sauve! Hurla la petite fille.
  • Bleue, c'est trop tard ma chérie... il ne sera plus la demain matin... il s'envolera, mais tu sais, il restera dans ton cœur.
Les larmes avaient coulées.
  • Puis-je aller le voir ?
  • Bien sur, ma chérie, vas y, je t’accompagne.
La petite fille s'était retournée.
  • Non, c'est moi et moi seule qui le regarderais s'envoler.
Rosa s'était figée sur place, ne comprenant pas ou voulait en venir la petite fille.
Bleue avait séchée ses larmes. Elle alla pousser la porte de l'infirmerie.

(...)

Elle marchait dans la pièce blanche.
Elle s’arrêta devant le seul lit occupé. Il était torse nu, des bandages blanc teinté de fleurs rouges, recouvrant son abdomen. Un masque à gaz lui couvrait la bouche. Elle alla s’asseoir près de sa tête brune. Ses cheveux noirs flottaient autour de sa tête, posés sur les draps blancs. Elle prit sa main, elle était encore tiède, mais l'enveloppe de la mort l'avait rafraîchit.
« Il s'envolera bientôt. »Le souvenir de la voix de Rosa résonnait dans sa tête comme un requiem qu'elle refusait absolument.
- Hey … mon petit oiseau, ne pars pas... reste avec moi, mon oiseau. Ne t’envole pas. Reste avec moi.
Elle était restée longtemps, lui tenant la main. Elle avait posé sa tête contre l'oreiller, et avait attendu le miracle. Elle avait attendu l'essor de l'oiseau. Tout son espoir... toute sa volonté d'un jour découvrir quelqu'un qui verrait en elle autre chose qu'un monstre avec des cheveux bleus, ce quelqu'un avec qui elle pourrait rire et être ami, elle ne voulait personne d'autre que cet enfant, légèrement plus jeune qu'elle. Elle voulait que ce garçon reste avec elle, qu'il soit ce frère qu'elle n'avait pas eu, qu'il soit pour elle la raison qu'elle avait de se battre contre ceux qui la considéraient comme différente.
  • Oh mon Dieu! S'écria une infirmière. Venez voir!
Deux autres infirmières avaient accouru. Elles avaient assisté à l'envol. Devant elles, Bleue, les yeux fermés, tenait la main du petit garçon qui souriait doucement, les yeux entrouverts, les blessures monstrueuses refermées.

(...)

Quand Bleue se réveilla, elle était dans un lit. Elle ouvrit les yeux et ne comprit pas pourquoi elle était dans sa chambre. Elle se leva et découvrit un second lit, dans sa chambre. Le petit garçon y dormait. Elle s'approcha de lui. Le contact de sa main sur sa joue réveilla le petit garçon. Bleue resta silencieuse. Elle fixait les yeux du petit garçon, qui exerçaient sur elle une étrange fascination. Bien que véritables, les yeux possédaient des iris transparentes, aux pupilles dont on voyait le cheminement en travers du globe oculaire. Cette absence de couleur donnait au regard du garçon un éclat éteint, comme les yeux d'un aveugle. Bleue en cilla, surprise par l'image qu'elle se faisait des yeux; toujours colorés, comme les siens, tellement bleus. Elle se pencha vers le petit garçon, qui lui sourit doucement.
  • Tu peux me comprendre ? Demanda-t-elle.
Le garçon acquiesça.
  • Tu sais écrire?
Affirmatif.
Elle se leva et alla chercher une ardoise. Elle lui tendit.
  • Écris-moi ton nom.
Le petit garçon prit la craie, et commença à écrire, tenant la craie dans des doigts maladroits, formant entre elles des lettres qui se firent grossières et maladroites, arrondies par une écriture enfantine.
"F.L.I.N.E"
  • D’où tu viens, Fline?
Il se figea, comme déstabilise, puis doucement, leva la craie, et répondit à Bleue, qui lut aussitôt. "J.E .NE.SAIS.PLUS."
  • Ah, c'est dommage, marmonna Bleue, en prenant une mine désolée.
(...)

Bleue passa plusieurs heures à lui poser des questions, dans la tentative désespérée de lui rappeler d’où il venait, comment il s'était retrouvé ainsi exposé, et brutalisé, comment et pourquoi il avait pris le chemin de l'orphelinat. Bleue décida de récapituler une dernière fois.
  • Tu aurais pu mourir. Pourquoi tu avais ces blessures?
  • JE NE SAIS PAS
  • Tu ne te rappelle de rien ?
  • NON.
  • Sauf de ton âge, n'est-ce pas ?
  • OUI.
  • Récapitulons. Tu t'appelle Fline, tu as huit ans, presque neuf, mais tu ne connais pas ta date de naissance. C'est ça ?
  • OUI.
  • Tu as marché combien de temps ?
  • LONGTEMPS.
  • De quelle direction?
  • JE NE SAIS PAS.
Bleue soupira. Fline eut un regard triste.
  • Ne t’inquiète pas, je ne te gronde pas.
Le regard de Fline s'alluma, dans une expression de contentement qui ravit la jeune fille, heureuse de découvrir en ce petit garçon cette facette candide.
  • POURQUOI ETAIS TU DANS LE GRENIER?
Bleue baissa les yeux.
  • J'étais triste.
  • POURQUOI?
  • Parce qu'une fille s'était moquée de moi.
  • POURQUOI?
  • Tu sais je n’ai pas vraiment envie d'en parler...
  • BIEN.
Elle resta silencieuse, laissant le chagrin de la violence que Miligent avait déversé sur elle, quelques heures auparavant, l'envahir de nouveau, dans une sorte de gêne qui la fit rougir. Elle détestait tellement cette fille, qu'elle hésitait ne serait-ce qu'à mentionner son nom au petit garçon. Fline s'agita dans le lit, peu désireux de rester silencieux.
  • J'AI UN SECRET.
Bleue fronça les sourcils, laissant vaguement ses lèvres s'étirer dans un petit sourire, qui fit étinceler ses prunelles bleues.
  • Et tu me le dirais, même si c'est un secret?
Fline, lui, sourit de manière rayonnante, laissant voir ses dents de lait, pour la plupart, dans un éclat de rire qui surprit Bleue. Ainsi, le petit garçon avait conservé son rire? Quelle chose étrange, pensa t-elle.
  • LES OISEAUX M'OBEISSENT.

Bleue rit soudain, très amusée par ce qu'elle considéra aussitôt comme une plaisanterie de la part de l'enfant. Les fins sourcils de Fline se tordirent dans une expression colérique, et le petit garçon rabattit l'ardoise sur sa poitrine, fixant avec un regard outré l'hilarité de Bleue. Cette dernière ne semblait pas prête à se calmer dans son fou rire, aussi le petit garçon fit glisser son regard jusqu'à la fenêtre. Ses doigts s'agitèrent sur le rebord de l'ardoise, et il patienta, tandis que Bleue reposait sur lui son regard amusé.
  • Mais bien sur !
Un froufrou la stoppa net: devant elle, contre l'épaule de Fline, un rossignol s'était posé.
  • Je...
Le rossignol se mit à siffler un air joyeux, d'un air qui résonna aussitôt aux oreilles de Bleue comme un air familier; un air qu'elle avait découvert quelques moments plus tôt, alors qu'elle était en train de pleurer dans le grenier.
  • C'est lui qui … ?
  • OUI.
Elle regarda autour d'elle. La fenêtre avait été ouverte plus tôt, et l'oiseau était entré par là.
  • Wah...
Fline rit à son tour, puis reprit l'ardoise, ses yeux pétillants d'une sorte de malice, tandis que Bleue essayait de lire le message qu'il prit une sorte de plaisir enfantin à lui cacher, avant que sa craie ne se relève totalement, et qu'il retourne vers elle l'ardoise, avec un sourire énorme sur son visage.
  • TU AS DE TRES BEAUX CHEVEUX, TU SAIS? J'ADORE LE BLEU. IL TE VA BIEN.

Bleue et Fline, un an et demi plus tard.

Bleue courait. Fline derrière elle. Mlle Mirtis derrière lui.
  • Arrêtez-vous, bande de petit voyous!
Bleue dérapa sur un tapis et tourna a la dernière seconde dans un couloir sombre.
Fline riait aux éclats. C'était la seule chose qu'il avait gardée de sa voix. Les rires et les sanglots.
Bleue toujours en tête, attrapa Fline par le bras et se jeta dans l'ombre d'une horrible statue. Mlle Mirtis fit enfin son apparition, soufflante comme un bœuf. Elle trottina et passa devant la statue en proférant des menaces, mais ne jeta pas un regard vers l'horrible gargouille. Quand elle se fut éloignée, Bleue murmura a Fline.
  • Elle a dut penser qu'on se dirigeait vers les dortoirs.
Fline sourit, et utilisa aussitôt leurs nouveaux moyens de communication. Le Dalish. Un langage qu'eux seuls pouvaient comprendre, ayant pour but de permettre a Fline de communiquer avec Bleue sans avoir recours a une ardoise ou une feuille. Pour communiquer, il faut plier, détendre, bouger, lier les doigts de multiples façons, créant ainsi des signes et des gestes égaux à certains mots. Ce langage silencieux et incompréhensible fut très vite maîtrisé par les deux enfants. Ce moyen de communication n'avait encore jamais été découvert par les surveillantes ou les professeurs de l'orphelinat.
  • Je ne comprendrais jamais cette femme, expliqua très rapidement Fline, en faisant danser ses doigts dans une chorégraphie rapide.
  • Pareil, ricana Bleue à haute voix. Elle est vraiment idiote. De toute façon, au moins, on a récupéré du pain pour Gustave.
Sortant de sa poche un morceau de pain dur, elle le présenta au petit brun qui sourit, en secouant ses mèches hirsutes. Bleue sourit, devant ce visage qu'elle considérait désormais comme fraternel, et glissa ses doigts sur le crâne brun, ce qui fit relever vers elle un regard farouche, la faisant pouffer. Fline refit jouer le mouvement de ses doigts.
  • Je viens d’appeler Gustave. Il arrive.
Gustave était l'oiseau qui avait permis la rencontre entre Fline et Bleue; ce même rossignol qui depuis un an, avait l'habitude de venir manger dans la main des deux enfants, ces derniers se faisant une véritable joie que de voler du pain à la cuisine pour l'offrir au petit oiseau.
- Salut Gustave. Le salua Bleue, en lui tendant le bout de pain.
L'oiseau vint se poser sur l'épaule de Fline et descendit en sautillant le long de son bras, avec un intérêt croissant pour les miettes s'entassant dans la paume de Bleue. Il quitta l'avant-bras de Fline et vint se blottir, parfaitement à la taille pour, dans la paume de Bleue qui sourit, amusé par l'amitié qui la liait à ce petit animal. Fline caressa du bout du doigt l'échine fragile du rossignol qui croisant son regard, resta une seconde immobile, comme écoutant quelque chose, puis cligna ses yeux et se remit à picorer. Bleue savait que Fline entrait en communication avec les oiseaux, mais elle ignorait de quelle manière, et ce qu'il lui disait. Le petit garçon releva doucement son visage, ses yeux toujours concentrés sur l'oiseau, mais ses dents dévoilées dans un sourire presque moqueur. L'oiseau s'agita et secoua ses ailes, et Fline pouffa.
  • Que racontez vous de beau, messieurs? Sourit Bleue, curieuse.
  • Je lui disais de faire attention au Chat.
Bleue aimait bien le chat. C'était un animal mince, aux yeux étincelants, et à la robe noire et grise. Il ronronnait auprès de n'importe quel orphelin, a part, Bleue en était ravie, de Miligent, qui avait un jour confondu le chat avec son écharpe de fourrure.
Le chat n'avait pas vraiment de nom. Une des permissions de l'orphelinat était de donner n'importe quel nom au chat, du moment que ce n'était pas injurieux.
Pour Bleue, le chat s'appelait Pim. Pour certaines filles de son âge, c'était Flûte, Prommimona, Lolo, Turlututu, Opla, Chéri d'Amour, Yutao, Sky, Lolito.
Pour les garçons, c'était plutôt: Ortal, Krin, Larmol, Chural, Vinsent, Tache, Le Chat, Epée, Bouclier, Cheval, Lancier, Chatounet, Lopinel, Griffe de feu, Moustache de brigand, Pirate, Royal, Dragon, Chevalier, Tristan, Bataille, ...
Pour Fline, le chat s'appelait Gilbert.
Bleue avait explosé de rire la première fois que Fline lui avait annoncé son choix. Elle avait du attendre plusieurs minutes avant de retrouver son calme sous les yeux étonnés de Fline.
  • Gustave, tu dois faire attention a Gilbert, rigola Bleue.
Elle sortit de derrière la statue. A cette heure la, tout le monde se dirigeait vers les dortoirs pour aller se coucher. La première cloche sonna. Cela signifiait qu'il fallait se quitter et aller dans son dortoir respectif. La seconde cloche signifiait extinction des feux. Elle sonnerait dans deux heures et demie.
Bleue s'étira, Gustave s'envola et disparut dans un couloir parallèle. Fline se leva et se dirigea vers les dortoirs. Il ne dormait plus avec Bleue, on avait refusé. Quand elle avait demandé pourquoi, on lui avait répondu.
  • Tu vas changer, ton corps va se transformer, et tu ne voudras plus être avec un garçon dans ta chambre. Tu seras gênée de sa présence.
  • C'est mon frère !
  • Non, Bleue, ce n'est pas ton frère. C'est un garçon.
Bleue, le soir même s'était coupé les cheveux dans un agressif carré plongeant, éradiquant ses airs de petites filles modèles. Les cris de protestation de Rosa n'y avaient rien changé.
  • Tu es une idiote, Bleue !
  • Je m'en fiche. Il ne tient qu'à moi de décider ce que je veux être, sachez-le!
  • Tu ne comprends pas!
  • C'est vous qui ne comprenez pas! Je sais de quoi vous parlez! Cela ne m'arrivera que vers treize ou quatorze ans! Je n'ai que onze ans !
  • Non, Bleue, c'est une moyenne! Cela arrive à huit ans chez certaines filles ! Et ce n'est pas à toi de trancher sur ce qui relève de la bienséance! Ici, il y a des règles, pour les garçons, comme pour les filles.

(...)

Depuis, Bleue haïssait Mlle Rosa.
Fline s'éloignait quand soudain un cri de frayeur retentit derrière lui. Il se retourna et vit Bleue, acculée contre le mur, tremblante. Un homme en noir, aux longs cheveux ondulés et bruns tendait la main vers elle. Fline courut vers eux et bondissant, se jeta sur le dos de l'homme en noir qui se figea un bref instant. Il eut un rire glacé, et plongea la main sur le poignet de Bleue. Il y eut une déflagration dans l'air et Fline se retrouva catapulté contre le mur. Il se releva et vit que l'homme aussi avait été éjecté .Fline tourna la tête vers Bleue, et il resta interdit devant ce qu'il voyait : Bleue, debout, immobile, les bras tendus devant elle, de la vapeur filamenteuse s'échappant de ses paumes ouvertes.
L'homme rit encore plus fort, et avant que Fline ou Bleue n'aies pu faire un geste, il avait disparu. Fline sourit a Bleue, puis soudain s'effondra. Derrière lui, l'homme, réapparut, resserra le poing. Bleue sentit son rythme cardiaque s'accélérer.
  • Aérodynamique. Tu es très intéressante.
Il lui bondit dessus, et attrapant le corps inerte de Fline, kidnappa les deux enfants, et disparut avec un éclair noir.

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