Willan courait. Il ne
regardait pas autour de lui. Les autres avaient dus s'enfuir. Willan
dérapa sur le sol mousseux, et d'une main, attrapa une branche
basse. Il ne le trouverait pas, car Willan vendrait chèrement sa
peau.
A califourchon sur sa
branche, Willan haletait. Silencieux, il scruta les contours sombres
des arbres. L'avait-il semé? Willan se permit un éclat de rire
discret. Erreur fatale. Une masse supersonique blanche vrilla sur
lui, et le percuta de toute sa puissance dans les abdos. Willan n'eut
pas le temps d'esquisser le moindre geste de fuite ; battant des
bras, son corps s'envola et gracieusement, s'étala de tout son long
dans la poussière, avec un énorme bruit sourd. Willan hurla.
Elyo aussi, mais de
rire.
Jurant, Willan se releva,
des larmes de douleurs aux yeux. Bleue sortait elle aussi des
fourrées, précédant Elyo. Fline, sous sa forme d'Aquila, semblait
mourir de rire.
- Fline... je vais te tuer...
L'Aquila battit des
ailes, le regard pétillant. Elyo, un sourire discret aux lèvres,
s'approcha de son frère pour vérifier que tout allait bien.
- Ça va, le repoussa Willan, Fline, comment tu m’as trouvé, tu trichais, n'est ce pas ?
Bleue sourit.
- Tes traces de pas et tes bruits, même le dernier des traqueurs t’aurait facilement trouvé.
- Évidemment...
Elyo posa un regard
tendre sur Willan, qui bougonnait. Comme ils se ressemblaient, tous
les deux !
Cela faisait trois mois
qu'ils avaient quittés Faier-Hayrdhann, et leur voyage ne touchait
pas à sa fin. Par douze fois, les cris de douleurs avaient raisonnés
dans la forêt. Elyo refusait toutefois d'expliquer ce pourquoi a
Bleue et à Fline. Chaque samedi, la douleur était lancinante. Et à
chaque fois, elle irradiait encore plus que la dernière semaine.
Elyo se leva.
- Je vais pêcher pour le repas de ce midi, et vu qu'on a pris du retard sur les provisions, il va falloir recharger tout cela.
Fline leva des yeux
diamants pleins d'espoir vers lui. Elyo soupira pour la forme, mais
il était évidement d'accord pour le garçonnet l'accompagne.
En trois semaines, ils
avaient tous appris à se connaître : Fline adorait Elyo, Elyo
s'amusait de la compagnie de Fline, Bleue appréciait Elyo mais
semblait ignorer Willan, Willan, lui était littéralement fou de sa
princesse glacée. Et Solémio, allant sur ses trois semaines,
ronronnait toujours de plaisir quand un Fline inconscient et
transformé en moineau se posait près du bébé fauve.
Du bébé fauve. Du gros
chat se léchant les babines.
(…)
Quand les poissons furent
cuits, Elyo qui savourait son mets, décida de replonger dans le
livre qu'il traînait avec lui depuis qu'il avait quitté
Faier-Hayrdhann.
Ce livre, il l'avait pris
dans le bureau de Karly.
Une épaisse reliure
sombre, des pages parcheminées et lourdes, une écriture acérée,
qui courait aux fils des pages, effrénée, dans une quête
oppressante. Des éclaboussures d'encre noire qui faisait ressembler
chaque page du livre à un combat terrible, et ce dans un ensemble
des déchirures, des coupures et de la poussière.
Elyo reposa le livre.
Comme d'habitude. Il ne parvenait pas à déchiffrer les mots
inscrits sur le papier épais. Les mots, gravés dans le livre,
n'appartenaient pas à ce monde.
« Ce n'était pas
de l'allemand, ni de l'Artymisio, ni aucune autre langue que je
connais, ce sont des courbes, des traits, et des points. Des
entrelacements de signes formant un langage que je ne comprends pas,
» répéta t-il pour la énième fois Elyo.
Il soupira. Seule une
phrase lui était compréhensible puisqu'écrite dans l'Artymisio, la
toute première, en fin de la première page : « L' Heimer ne
concerne, et ne concernera, à jamais, que ceux dont les fruits de
leurs recherches ont donné résultat. La lignée Heimerienne doit en
tout cas, en toute situation, rester secrète, et inconnue aux yeux
du monde, moderne ou parallèle. »
Monde moderne ou
parallèle? Elyo en avait conclu qu'il avait eu raison de penser
qu'un monde différent existait quelque part, et que peut-être,
Iudhaël les y attendait.
En parlant de Iudhaël,
cela faisait deux nuits qu'Elyo ne rêvait plus de lui, et cela
l'inquiétait.
- Qui es-tu, Iudhaël, murmura doucement Elyo.
Une brise légère vint
caresser son visage. Il leva la tête; les autres mangeaient encore.
Seul Fline tourna son regard vers lui et comprit.
« Quoi, un
problème? »
- Je crois.
Il avait prononcé ses
mots à voix haute. Le silence s'installa dans le camp. Willan cessa
de respirer, Solémio feula doucement puis se tut. Bleue se leva
lentement, le regard porté vers les arbres sombres.
- Quoi ?
Elyo n'eut pas le temps
de répondre. Les flammes embrasèrent l'espace. Bleue hurla et
Solémio rugit de peur. Fline se précipita contre Elyo, qui
paralysé, fixait les flammes ardentes qui brûlaient la forêt.
Willan réfléchît plus vite que tout les autres. D'une main, il
attrapa des couvertures et un sac de provisions et cria:
- Dépêchez vous! Il faut courir !
Fline, terrifié, bondît
en l'air et aussitôt, ses serres d'Aquila happèrent les sacs et le
jeune Kalionss qui miaulait de protestation. Elyo attrapa la main de
Bleue et s'élança à travers la jungle des arbres, tandis que le
bûcher ardent gagnait du terrain. Fline s'envola vers le ciel sombre
de la nuit, traversant la barrière enflammée des feuillages.
Elyo courait, Bleue et
Willan sprintaient aussi derrière.
- Ce n'est pas un incendie ! Hurla Bleue.
- Bien sur que si ! Je t'assure que ce n'est pas une inondation! Répondit Willan, aux talons d'Elyo.
- Tu connais des incendies qui démarrent à cette vitesse, et sans odeur!
Elyo n'eut pas le temps
d'y réfléchir ; le feu était à moins d'un mètre derrière eux.
La chaleur brûla les narines d'Elyo. L'éclair de souvenir qui
traversa son esprit le figea. La Zyphanelle, les flammes, les
cendres, ses cris.
- Elyo!
Le cri de Willan le
ramena à la réalité. Trop tard.
Les ténèbres enflammées
plongèrent sur lui sans qu'il ne s'en rende compte.
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