vendredi 8 février 2013

8. Six mois avant.


Six mois avant. Dimanche.

Willan regarda le soleil éclairer lentement la pièce. Il ne tourna pas la tête. Il savait qu'Elyo était réveillé. Il ferma de nouveau les yeux. La lumière inondait la pièce et l'âme de Willan. Il sentait, au fond de sa chair, que quelque chose se passerait aujourd'hui. Il leva les bras, et étudia un petit moment toutes les parties anatomiques de son membre. Il observa le fonctionnement du coude, l'articulation impressionnante qu'était le poignet, les veines qui apparaissaient quand on tendait les doigts de telles ou telles façons, les différents bourrelets de la peau , les jointures charnelles tendues entre les doigts, la taille des phalanges, les tailles et autres des lignes de la main , la superficie de la paume, les muscles souvent ignorés des doigts, les lignes de pliures sur le poignet... Willan se réveillait parfaitement quand il comprit qu'il n'arriverait jamais à compter toutes les striures dans sa paume.
Il poussa un profond soupir et rejeta ses couvertures, se leva, il leva alors les yeux vers Elyo qui s'était fixé dans la même position. Un rire silencieux naquit sur leurs lèvres.

(...)

Vers midi, Willan eut un pressentiment. Il en fit part à Elyo.
  • Je propose qu'on aille en forêt... ça te dis?
Ils sortirent de la ville, et prenant le chemin de la montagne, ou il fallait aller au nord, ils se retrouvèrent devant la porte principale. Elyo eut alors une idée. Il insista sur le fait qu'il fallait s’entraîner sans relâche. C'est pourquoi, au lieu de passer tranquillement par la porte, Willan et Elyo posèrent leurs pieds sur la façade rocailleuse de la gigantesque muraille qui entourait la ville. Elyo commença. Willan, étudia un instant les différentes prises qui se trouvaient autour de lui. Il prit son courage à deux mains, et attrapa de la main droite un rocher qui dépassait. Puis, il se souleva de quelques centimètres et posa son pied gauche sur un autre rocher. Puis sa main gauche et son pied droit. Et ainsi de suite. La montée fut difficile, et périlleuse, et plusieurs fois, Willan se colla contre la paroi quand un caillou glissait sous son pied ou entre ses doigts. Plusieurs fois, il faillit lâcher tant son bras était raide. Plusieurs fois, aussi, il cria de peur quand il voyait Elyo glisser mais se rattraper. Puis au bout d'un petit moment, le simple '' entraînement '' devint obstacle. Puis, Elyo en fit un pari.
  • J'arriverai … avant … toi! Souffla-t-il, épuisé.
Ils n'en étaient encore qu'au premier tiers.
Les muscles se tendaient, les doigts crochetaient et agrippaient le roc, les genoux frottaient contre la pierre, la poussière se mêla a l'air, le soleil tapait, des gouttes de transpiration coulaient sur le front des deux garçons. Puis, au bout de deux heures, Willan se hissa sur le rebord irrégulier de l'épais mur de pierre, et qu'elle ne fut pas sa surprise de voir Elyo, quelques mètres en dessous, le féliciter.
  • Très... très... fort! Je -reuh reuh- vais... y … arriver! Al-lez!
Au bout de deux minutes d'acharnement, Elyo s'affala sur le haut de la muraille. Willan s'approcha du précipice quand son estomac se noua.
  • Euh.... Elyo?
  • Mmmh?
  • Tu es bien accroché?
  • Mmmh?
  • Il reste la désescalade à faire...
  • Quoiiiiii!? Hurla Elyo, terrassé.


(...)

Environ cinq heures plus tard, dans la forêt, à quatre kilomètre de Faier-Hayrdhann, Willan allumait le bivouac. Elyo, était dans une petite rivière. L'eau lui arrivait a la taille. Il s'assit dans l'eau, mais vit que son nez était sous l'eau, alors, il posa les mains contre le sol sableux, et poussa sur ses bras, se retrouva soulevé de dix centimètre sous l'eau, assis dans la rivière. Il vit des poissons passer a coté de ses orteils, et aussitôt, il demanda:
  • Will? Tu veux du poisson? Je peux essayer de t'en attraper, si tu veux.
  • Non merci! J'ai tout ce qui nous faut, pour le repas.
Elyo inspira et plongea la tête sous l'eau. La fraîcheur le fit frissonner, puis, nageant au ras du sol sablonneux, il découvrit un étrange milieu naturel. De minuscules poissons, des Curanis, petits animaux, couleur terre sableuse, étaient curieusement amphibiens, dotés de nageoires caudales leur permettant d'avancer à la surface terrestre. Elyo les imita un instant, rampant, puis nageant, puis remonta a la surface pour respirer.
Il vit aussitôt ce que Willan ne pouvait voir. Un sublime fauve, à la robe chatoyante et soyeuse, accroupie, a trois mètre, en position d'attaque, sur une branche, balançant nerveusement la queue, observait le garçon qui lui tournait le dos. Elyo se précipita, en hurlant, hors de l'eau:
« Willan! »
Il vit, au ralentit, le regard du fauve croiser le sien, puis, l'énorme entité de muscles et de puissance bondit, sans toucher le sol, vers Willan. Les griffes jaillirent en un éclair, et fusèrent vers Willan qui n'eut pas le temps d'esquisser un geste. Mais, au contraire, un cri suraigu sortit de sa gorge.
Elyo courut vers le feu, et comprit, en voyant que l'énorme fauve s'était immobilisé, que quelque chose venait de se passer. Il trébucha sur le sol, et le visage dans la poussière, se retrouva en face des deux adversaires. Il leva lentement la tête, des larmes de peur lui emplissant les yeux, mais la surprise lui effaça toute angoisse : Willan, stupéfait, le bras levé en signe de protection instinctive, regardait les yeux ambrés du fauves. Définitivement et à jamais aveugles. Mort. Les rayons du soleil éclairèrent une dernière fois les doux poils dorés et bruns du fauve, puis, disparurent dans les feuillages. Et le fauve, fléchissant les genoux, tomba avec grâce sur les flancs. Elyo s'approcha doucement de son frère et le prit tendrement dans ses bras, transmettant involontairement toute la peur qu'il avait ressentit. Il ressentit contre sa poitrine les hoquets des sanglots de Willan, puis, les larmes coulèrent contre ses bras, et il ne put rien faire d'autre que le bercer tendrement, son frère sanglotant de peur dans ses bras. Puis, Willan se dégagea doucement, et s'approcha lentement du cadavre. Délicatement, Elyo caressa le pelage merveilleux du fauve.
« Qu'est ce que c'est? Murmura-t-il.
  • Un fauve des plus puissants, le plus incroyable de toute la faune animale... Un Kalionss. »
Elyo ferma les yeux, et pria un instant le Père Créateur de recevoir l'âme de ce Kalionss. Il crut sentir au même instant un doux frémissement du pelage sous ses doigts. Il rouvrit les yeux.
  • Qu’as tu fait ? Murmura Elyo. Comment, comment tu as fait pour terrasser le fauve le plus meurtrier qu'il existe en ce monde?
Willan déglutit.
  • Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne sais pas.
Il répéta obstinément cette phrase, ses sourcils s'arquant sous le sentiment qui le dominait. Elyo inspira, refoulant la peur qui commençait à le quitter, laissant place à un doute terrible.
  • Willan... Tu vois... notre maître n'y arrivait pas, mais nous on peut les activer... quand on est en danger de mort?
Un éclair envahit l'esprit d'Elyo. La chaleur, les poutres, le feu, les cendres. Le reflet.
Il s'assit a coté de son frère. Celui, tremblant, ne releva même pas les yeux sur lui.
  • Qu'as tu senti, Willan? Comment as tu fait?
Willan, les doigts enfoncés dans la terre, murmura:
  • J'ai ...rien fait. C'était inconsciemment. J'ai senti ta peur et … et...
Il ne put terminer sa phrase. Elyo l'encouragea. Alors, Willan leva ses yeux verts et ceux -ci foudroyèrent Elyo:
  • Et j'ai sentit une immense vague de chaleur partout autour de moi. Seul mon corps était froid. J'ai ressenti ton corps. Ta chaleur. Et j'ai sentit le fauve bondir. J'ai voulu le stopper... Je croyais que c'était sur toi qu'il bondissait. Et j'ai senti les flammes froides de ses griffes me … et il est mort. »Termina Willan.
Elyo, horrifié par la découverte, regarda son frère avec un regard effrayé. Willan capta ce regard, et ses larmes devinrent des larmes de rage.
« Je n'ai pas fait exprès! Elyo! Mais...je n'ai … je n'ai … je n'y arrive pas ! Je ne sais pas !»
Elyo inspira, puis sourit misérablement.
  • Je sais, Will. Je sais...
Ils restèrent un moment près du cadavre du Kalionss.
Puis, Elyo murmura:
  • Nous avons ces dons, Willan. Nous les avons eus, dans la salle et ils ne sont jamais remontés. Ils étaient enfouis en nous, sans jamais se réveillés, quand la mort ne nous faisait pas face. Mais quand elle était là, pour prendre les autres, nous n'avons rien fait. Et ne t’inquiète pas. Tu ne t’écartes pas de notre voie, en ayant fait cela. Seulement, tu la dévie un peu. N’oublie pas que Karly pense que nous sommes sous ses ordres.
Willan entendit les paroles graves. Comment sa vie avait basculé simplement parce qu’Elyo avait posé une question.
  • Nous avons fait la promesse de ne plus jamais y retourner. Mais... tu t'en rappelle n'est ce pas? Le signe de sang... La promesse. L'Heimer...
Willan frissonna. Devant se yeux, se matérialisèrent un amas de corps, sur le sol, tous fumants. Et au plafond, au dessus d'eux, à la manière d'un serpent qui observe son festin facilement fourni, le gigantesque tuyau.
  • Elyo! La ferme!
Willan rugissait de rage, face au désarroi qu'il ressentait.
  • Il ne nous reste que quelques mois, a peine ! Et on ne sait pas maîtriser ces foutus dons! Il va nous … il va nous....
Sa voix se brisa. Les doigts enfoncés dans la terre, il aurait voulu la déchirer en deux. Il sentit des larmes de colère lui monter aux yeux. Il les refoula, et leva des yeux rageurs vers son frère.
  • Il y a tant de questions sans réponse.
Willan serra les poings.
  • Il … était stupide ! Il nous laisse trois ans, et on ne sait pas de quoi il veut parler ! Toutes recherches, nos heures à la bibliothèque … ça ne servait à rien...
  • Nous ne savions pas quoi rechercher.
Elyo regarda le sol. Les minuscules grains de poussières glissèrent en cascade entre ses doigts métis.
  • Nous ne savions pas...
  • Laisse tomber. Calme-toi.
Elyo se leva et jeta un regard vers le nord.
  • Nous sommes a une heure de marche de la ville, n'est ce pas?
  • En vol d'oiseau, cela mettrait un quart d'heure.
  • Nous sommes si près de la ville?
  • Le chemin pour accéder à cet endroit est difficilement praticable. Il faut être dynamique pour parvenir ici.
  • Dans ce cas... j'estime que nous avons suffisamment travaillé, aujourd'hui.
  • Elyo, cela ne te ressemble pas.
Elyo prit un regard amusé.
  • Franchement, j'ai faim, et je,... Willan !
Celui-ci, les yeux vides, s'affaissa sur le sol.
  • Voulais pas te dire que j'avais mal...
Elyo, horrifié, vit ses paupières se refermer. Il attrapa son frère pour le secouer, et comme s'il s'était brûlé, retira sa main. Elle était couverte de sang épais et noir. Les battements de son cœur s'accélérèrent, et il voulut mettre Willan sur le ventre, quand il comprit que le sang l'obsédait. Le sang; il fixa son regard sur les gouttes écarlates qui glissaient le long de ses doigts. L'odeur âcre lui rentrer dans les narines. Le sang. Son souffle devint haletant, son pouls s'accéléra encore, ses pupilles dilatées vrillaient sur le sang. Il sentit sa tête tourner. Ses doigts s'approchèrent de son visage, et....
Noir.

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