Quand ils pénétrèrent
dans l'ombre des arbres de la forêt, Bleue prit de l'avance,
reconnaissant le chemin. Elle courut, bondissant par dessus les
bosquets, les troncs, les fougères, et autres végétaux. Au bout de
dix minutes de course folle a travers la végétation luxuriante de
la forêt, Elyo hors d'haleine, suivit de très près par Bleue,
découvrirent un Willan silencieux, heureux, et paternel. Dans ses
bras, ronronnant, un bébé Kalionss, un peu différent de sa sortie
de l'œuf, les yeux fermés, buvait goulûment le lait qui coulait
lentement dans sa gueule minuscule, mais redoutable. A ses coté,
Fline, petit garçon attendri, caressait tendrement la tête doré.
Willan leva les yeux vers eux et aussitôt le bébé se mit à
miauler de protestation.
- Ah, vous êtes là ! Regardez moi ce petit morfale ! Il est adorable.
Elyo s'approcha de lui et
regarda le bébé. Willan le tenait sur le dos, dans ses bras, et les
petites pattes tenaient délicatement le goulot de la bouteille, les
griffes minuscules à peine sorties, que Willan vidait lentement dans
sa gorge. Puis le bébé ouvrit ses yeux, et Elyo fut sidéré de
voir la vitesse a laquelle les pupilles de feu se tournèrent vers
Willan. Le Kalionss n'accordait aucune attention aux autres
individus, seule la présence rassurante de celui qui le tenait lui
suffisait. Il ronronna.
- Tu vas lui donner un nom? Demanda Elyo.
Willan réfléchit.
- Je sais... il regarda le bébé qui fixa de nouveau ses yeux doré dans les siens. Solémio, ça te va ? C’est le nom d'une fleur qui me fait penser à tes yeux. Jaune, puis or, puis orange, puis feu. Une fleur complexe, mais magnifique. Comme toi.
Le bébé eut une espèce
de sourire, puis ronronna de nouveau. Fline applaudit, et Bleue rit.
Elyo se pencha et murmura à l'oreille de Willan.
- Fline, le cousin, moi le tonton, toi le papa et Bleue la maman ?
Willan vira au rouge
foncé.
- Tu ferais une très jolie fleur, tu savais?
Elyo couru très vite pour éviter la bouteille de verre qui explosa
sur un arbre a coté de lui.
Après cet affectueux
baptême, tandis que le soleil de midi illuminait le monde, et que
les quatre adolescents se réunissaient autour d'un repas commun,
Elyo demanda.
- Bleue, raconte-nous ton histoire.
Elle regarda Elyo, puis
Willan, et termina sa bouchée de pain.
- Je suis née il y a treize ans, dans une ville nommée Klyr-Ymmans, située en Straelitzie, au pays de Candice. J’appartenais à un orphelinat, ou je ne connaissais ni mes parents, ni mes origines. Apparemment, on m'avait abandonné à la naissance à la porte de cet orphelinat, mon nom écrit sur une lettre, sous mes couvertures. J'ai passé dix ans là bas, et puis un jour, Fline est arrivé lui aussi a cet orphelinat. Il n'avait pas été abandonné. Il semblait s'être enfui. C'est moi qui l'ai vue la première :
Bleue avait dix ans.
C'était une petite fille très tranquille. Elle était charmante,
douce, mais réservée. En effet, elle était la risée de nombreuses
personnes car elle était doté d'une chevelure incroyable : de longs
cheveux bleus lui tombaient gracieusement sous les omoplates. Malgré
son charme et tout ses effort, ses cheveux handicapaient beaucoup
Bleue. Les petites de son âges se moquaient d'elle, les adultes la
dévisageait avec une insistance qui la mettait mal à l'aise, les
garçons lui tiraient les nattes. De ce fait, Bleue souffrait.
(...)
Ce jour là, la jeune
Miligent Dallys, âgée de douze ans, lui avait mis une énorme gifle
parce qu'elle avait eu le culot d'utiliser sa brosse à cheveux.
Miligent avait hurlé:
« Sale horreur, tu
veux me contaminer ? »
Bleue s'était enfuie en
pleurant, et s'était réfugié dans le grenier de l'orphelinat, dont
l'accès était normalement interdit aux enfants. Elle pleurait tout
son soûl, et en venait à penser qu'elle se raserait les cheveux,
quand un oiseau la tira de ses pensées. Elle leva la tête et
observa le rossignol, qui malgré la neige et l'hiver rude, chantait
à plein cœur. Elle se leva, prit un escabeau, et s'assit sur la
lucarne, sur le toit de l'orphelinat. Ses beaux yeux bleus balayèrent
la cour vide et elle se mit à espérer qu'un jour, elle couperait
les cheveux de Miligent. Elle rêvait ainsi depuis quelques minutes,
quand soudain elle entendit la grille d'entrée couiner sur ses
gonds. Bleue se baissa de peur d'être vue et tenta de voir qui
venait vers l’orphelinat. Mme Mirtis, peut être ? Non, ce n'était
pas la vielle femme sèche. C'était une petite silhouette enfantine.
- Qu'est ce qu'il
faisait hors de l'orphelinat, celui-là ?
Elle tenta de reconnaître
le pensionnaire, mais elle était trop loin. Soudain, elle vit
quelque chose qui lui brûla le ventre et lui bloqua la tête. Du
sang. La silhouette semblait boiter, et avait du mal à avancer
droit. Et dans ses empreintes désordonnées, des fleurs écarlates
s'étalaient dans la neige.
Bleue sauta dans le
grenier, elle courut, ouvrit la porte et se retrouva face a Mlle
Rosa, la gouvernante.
- Bleue! Que fiche tu ici! Je te cherche depuis une he... pourquoi pleures-tu ?
- Mlle! Mlle!
- Qu'y a t-il ma chérie ?
- Il y a un enfant qui saigne dans la cour ! Je l'ai vu de là haut !
Mlle Rosa prit la main de
l'enfant et courut avec elle vers le hall, puis elles passèrent par
la porte, et se retrouvèrent dehors. Devant eux, à vingt mètres de
la porte, la petite silhouette s'effondra dans la neige, face contre
terre. Rosa courut en avant, suivit de Bleue qui pleurait toujours.
- Oh mon Dieu, oh mon Dieu... marmonna Rosa, la main sur la bouche, horrifiée par ce qu'elle vit.
Bleue vit que la
demoiselle avait retourné le petit corps, et ce qu'elle vit la
choqua tellement qu'elle cessa de pleurer.
C'était un petit garçon.
Il devait être plus jeune qu'elle. Il s'était évanoui. Et pour
cause : de sa bouche entrouverte, le sang coulait à flot. Mlle Rosa
se releva à toute vitesse.
- Mets le sur le coté pour éviter qu'il ne s’étouffe! Dépêche-toi, je vais chercher l'infirmière!
Elle était partie en
courant. Bleue prit son courage à deux mains et mit le petit garçon
sur le flanc. Du sang s'étala sur sa robe et sur la neige. Bleue ne
cria pas, en dépit de cette peur qui lui broyait le ventre. Le petit
garçon semblait mort. Elle lui passa une main tremblante sur le
visage et fut soulagé de sentir la chaleur sous ses doigts. Elle
coiffa les longues mèches noires et emmêlées du garçon, et
s'amusa à regarder le petit visage parfait... ou presque. En effet,
les longues traînées sanguinolentes coulaient tout autour de la
bouche, sur le menton, et dans le cou. Bleue prit un peu de neige et
nettoya avec la bouche du garçonnet. Puis, avalant sa salive, elle
prit de la neige dans sa main, ouvrit la bouche du petit et lui mit
dedans l'élément froid. Le petit garçon sembla l'avaler, mais ses
yeux restèrent fermés. Bleue regarda alors dans la bouche et le cri
de frayeur qui lui échappa fut couvert par l'arrivé de Mlle Rosa et
de l'infirmière.
- Que lui arrive t-il, demanda l’infirmière.
Avant que Mlle Rosa n'ait
put ouvrir la bouche, Bleue sanglota:
- Sa langue, et son alouette ont été coupées, et il a plein de coupure dans la gorge.
L'infirmière resta
coite, puis lentement rouvrit la bouche du petit garçon. Sa grimace
horrifiée confirma les dires de Bleue.
- Il va falloir le déplacer, très vite, pour l'amener à l'infirmerie... Il faut empêcher qu'il s'étouffe. Et qui sait combien de sang il a perdu... Mlle Rosa, vous êtes prête ?
La jeune femme avait déjà
pris les chevilles du garçon. L'infirmière compta a rebours, puis
elle souleva le garçon par les aisselles, et chancelante, ordonna de
marcher rapidement, sans faire beaucoup bouger le garçon. Bleue
regarda le petit convoie s'éloigner, et effondrée par ce qu'elle
venait de vivre, elle tomba a genoux dans la neige ensanglanté. Il y
a avait des plumes, à ses pieds.
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