7. Estéban (suite)

La chambre était parfaite. Rangée, confortable, et réchauffée par la présence de tous les objets familiers aux jumeaux. Sur les bureaux communs, les affaires scolaires avaient déposés, en prévision de la fin des vacances. Sur les murs, il y avait maintenant les posters de quelques groupes de musiques, des images de manga seinen, et des photos. Sur quelques uns des clichés, on pouvait voir Elyo, boudeur, qui regardait son château de sable disparaître sous la langue avide de la mer. Ou bien Willan, dans un parc d'attraction, dévorant une friandise, les yeux hilares. Et sur d'autres, Elyo et Willan, encadrant Anna.

Les étagères étaient pleines de livres. Dans certains, les marques pages oubliés formaient comme des crêtes aux ouvrages, espérant peut-être qu'on les rouvre un jour. Une chaise prônait, solitaire, au milieu de la pièce, et dans une étagère, la collection précieuse d'Elyo; les toupies, était disposée de manière usuelle. Près du lit, les vêtements de la veille avaient été jetés au sol, sans grande attention. Elyo et Willan ne dormaient pas. Le dos contre le mur, les jumeaux abordaient la même attitude figée, observant le mur, parlant un langage qui se passait de mot. Les minutes s'écoulait, faisant s'avancer la nuit de manière intemporelle. Elyo cilla, et doucement, ouvrit la bouche.

• Est-ce que tu crois que ce serait une bonne idée que d'écrire un livre?
• ... tu veux dire... un livre à faire éditer?
• Peut-être. Mais avant tout, l'écrire. Écrire un livre; toi et moi.
• Pourquoi pas, murmura Willan, sans tourner la tête vers Elyo.
• J'imagine, sourit Elyo, les pages et les pages qui se précèdent, une histoire qui naît vraiment, et tout l'intérêt qui pourrait s'en dégager; toi, ne travaillant plus tes maths mais à la place, en train d'écrire les aventures d'un héros galopant sur un cheval.

Willan eut un petit rire, qui contamina Elyo. Ils restèrent une seconde immobile, puis Willan se leva.

• Oh, et puis après tout pourquoi pas.
• Sérieusement?
• Bien sûr; j'ai envie d'être écrivain, et toi aussi.
• Ce n'est pas un métier...?
• Je m'en fous. C'est mon... non. C'est notre rêve, corrigea Willan en s'emparant du sac d'Elyo.

Ce dernier n'avait pas été vidé depuis une semaine, depuis la mort d'Anna. Par conséquent, le livre volé s'y trouvait toujours. Willan le prit, et le déposa sur le bureau, fouillant sa trousse à la recherche de deux stylos. Il récupéra ensuite un petit carnet vierge, acheté spécialement par Anna pour la rentrée scolaire, dont le but était initialement de servir de répertoire pour les mots en allemand ou en anglais. Willan récupéra une chaise, et fit signe à Elyo de venir s'asseoir près de lui. S'installant sur le bureau, les jumeaux posèrent le livre, et allumèrent une lampe de bureau. Willan ôta le capuchon du stylo plume, et glissa son embout entre ses lèvres.

• Aide-moi à trouver un synopsis.
• ... Science-fiction, Willan?
• Oui, pardon, j'aurais du commencer par ça.
• Que penses-tu d'une histoire de manipulation génétique sur des enfants?
• Je t'écoute? Marmonna Willan en écrivant ce que lui disait Elyo.
• Et bien... imagine des adolescents, qui découvrent qu'ils ont été manipulés de sorte à posséder des pouvoirs, et qu'ils sont destinés à se rencontrer les uns les autres.
• C'est une idée un peu basique, mais j'aime bien. Combien d'adolescents?
• ... cinq? Moins, ce ne serait pas très intéressant, plus, je ne vois pas comment on pourrait gérer.
• En effet, murmura Willan, son stylo courant sur le papier. Cinq héros?
• ... Mouais. Enfin, on peut centrer l'histoire sur un personnage, ou deux, en particulier, et faire des autres des personnages secondaires.
• Bonne idée.
• J'ai envie de les appeler Elyo et Willan?
• Hein?

Willan cessa d'écrire et se releva vers Elyo qui eut un sourire timide. Il haussa les épaules, faisant valser ses mèches brunes, qu'il rejeta en arrière pour être plus à l'aise, avant de reporter son attention sur Willan, qui, surpris, ne le lâchait pas du regard.

• Un peu comment le système du forum rpg. Tu créés ton personnage et tu le fais vivre son aventure sans aucune construction préparatoire.
• D'accord, mais pourquoi les appeler Elyo et Willan?
• Je ne sais pas. Je trouve que ce serait une bonne idée de nous accrocher à notre propre bouquin, non?
• Tu tiens vraiment à l'écrire, ce livre, toi, hein?
• Je veux surtout qu'il tienne longtemps. Ce n’est pas la première fois qu'on fait un truc vraiment en commun, mais le livre me tient à cœur.
• OK, optons pour Elyo et Willan. Même physique que nous?
• Oui, murmura Elyo, un sourire satisfait sur les lèvres.
• Je reviens au synopsis...?
• Des jumeaux, Elyo et Willan, se découvrent un jour des pouvoirs, dont les origines, loin d'être magiques, se révèlent génétiques.... Racontez.

(...)

• Le soleil se lève...
• Oui. Et donc, il faudra bien argumenter sur pourquoi Elyo est obligé de boire son sang, hein?
• Oui, pour survivre. Mais t'inquiètes, Willan viendra le sauver
• J'espère bien! Tu avais remarqué que le soleil se levait?

Les jumeaux, pour la première fis depuis plusieurs jours explosèrent de rire, ravis de ressentir cette joie qui courrait en eux à la manière d'un contact chaud entre leurs muscles et leur cerveau.

• Je t'assure que ça va être génial!
• N'empêche, on a rien écrit...
• On a fait une première avance...maintenant, faudrait commencer...bon, les personnages, ça va, on a décidé que ce serait nous...
• Sans être nous, attention!
• Oui, bon, ils portent nos noms, nos physique...nos caractères, mais ce n'est pas nous, je sais.
• Hmm.

Elyo, pour la millième fois, répéta d'une voix excitée.

• J'adore mon personnage Elyo!
• Eyh, oh, monsieur Narcisse, faudrait se calmer, hein? D'ailleurs, je suis persuadé que Willan est bien plus intelligent que ton ridicule petit testotéroneux.

Elyo attrapa le livre et l'écrasa proprement dit sur la tête à Willan.

• Et maintenant, je gaaaaagne!
• Vous avez l'air traumatisés, les mecs.

Dans un sursaut, les jumeaux arrachèrent leur regard, pour la première fois depuis des heures, du petit carnet où ils avaient écrit les idées principales et/ou futiles pour la rédaction de leur livre. Cette idée d'écrire un roman, ensemble, les remplissait de bonheur, les avaient gardés éveillés toute la nuit, et leur avaient même fait oublier le temps; de ce fait, Estéban était arrivé dans leur chambre sans qu'aucun des deux ne le remarque. Accoudé au panneau de bois de la porte de chambre, ce dernier les regardait, souriant, son visage un peu plus radieux que les jours derniers, où il avait fait le deuil de sa sœur. Elyo et Willan se levèrent, s'écartant du bureau, et plongèrent leur regard vert, doubles, vers Estéban, qui eut un vague mouvement d'épaule.

• Je sais que ça a été un début difficile. Je ne m'attendais pas à vous recevoir ici, et puis, même si je suis votre parrain, on ne peut pas dire que j'ai été très présent pour vous. Je vous demande de m'en excuser. ... Ensuite, je voudrais que vous sachiez que je suis prêt, et déterminé à vivre avec vous. Je vous prends à ma charge, et vous vivrez ici, maintenant. Je ne vais pas vous demander de recommencer depuis le début; je sais que ma sœur vous a adoptés, je ne vais pas faire comme si il fallait tout oublier: vous avez vos habitudes de vie, et je me dois de les respecter. Cependant, j'ai aussi les miennes. Il va donc falloir qu'on s'aligne, OK?

Les jumeaux acquiescèrent, en se rasseyant sur leur chaise, attentif aux mots d’Estéban, qui quitta la porte pour aller s'asseoir lui aussi sur une chaise qu'il disposa devant les jumeaux, de manière à pouvoir bien les regarder.

• Par exemple, je vous demanderais de ne pas toucher à l'ordinateur de mon bureau. Vous êtres suffisamment âgés pour comprendre que j'ai toutes mes données dessus, et que c'est un outil de travail. Si jamais j'ai un bug, je préfère m'en prendre à moi, plutôt qu'à vous. Ensuite. Vous allez bientôt devoir reprendre l'école. Je crois que vous redoublez tous les deux, c'est ça? ... Bon... je ne vous connais pas encore assez pour me permettre un jugement, mais... assurez, cette année, les gars. L'année prochaine vous avez seize ans, et le système scolaire aura parfaitement le droit de vous virer de l'école, que vous ayez un diplôme ou pas, quoi. Donc, sérieux, faites attention les mecs.

Elyo et Willan se regardèrent brièvement. Cet Estéban semblait être quelqu'un de mature et intelligent. En tout cas, il prenait tout en mains, comme un chef d'orchestre, veillant à ne pas faire la moindre fausse note. Lentement, un sentiment d'empathie à son égard naquit de la part des jumeaux qui continuèrent d'écouter attentivement.

• Bon... je crois que j'ai dit l'essentiel. Après... il est évident qu'il faut qu'on apprenne à tous se connaître. Pour le reste des vacances, je vais vous laisser carte blanche. A partir de la rentrée, j'imposerai "vraiment" mes règles, et je vous demanderai de les suivre à la règle; j'entends; heure du repas, tâche collectives, corvées, heures de sorties, et tout et tout. Ah, un truc important, justement, à propos des heures de sorties; vous avez des copines?

Elyo et Willan virèrent aussitôt au rouge, déstabilisés par la question à laquelle ils ne s'attendaient pas le moins du monde. Estéban eut un sourire, tandis qu'Elyo secouait négativement la tête, et que Willan marmonnait un vague: "Non...".

• OK. Perso, je n'ai pas de fille non plus. Donc vous n'aurez pas de... de marâtre pour vous casser les pieds à vous demander de faire le ménage. Non, ça ce sera mon rôle.

Elyo et Willan explosèrent de rire.