lundi 4 février 2013

5. Maman.



Anna était belle. Petite, mince, un look très hippie: des dreadlocks dans les cheveux, des perles accrochées au bouts des nattes, un ruban vert ou rouge dans les cheveux, un regard très doux... bavarde ou silencieuse, lunatique, d'épaisse lunette cul-de-bouteille qu'elle mettait pour lire, des baggys en lin ou des hauts en toile... une vraie maman poule qui ne faisait pas ses trente cinq ans... Elle avait aussi un passé lourd, mais ses études de neuropsychologie l’avaient mené loin. Elle n'était pas orgueilleuse, et prenait la vie comme elle venait. Bohème.
Elle était la mère là quand il le fallait, chiante a toujours surveiller les leçons, mais première à défendre la cause des êtres proches. Loin d'être naïve ou manipulable, ses trente ans de sport de haut niveau avait fait d'elle une forte personnalité. A rencontrer.
Toujours le dernier mot, même quand elle avait tord.
C'était à la fois la mère et la sœur.
Aussi, quand le téléphone sonna, vers midi, à la maison, et qu’Elyo décrocha, le monde s'écroula.

(…)

Anne-Sophie, une amie d'Anna, vint les chercher pour les mener à l'hôpital. Et pourtant, elle était à trente, en moto. L'automobiliste n'avait pas regardé.
Selon les témoins, Anna avait tenté de ranger la moto à gauche, pour passer sur l'autre voie, au moment où une autre moto arrivait dans le sens inverse d'Anna. Afin de ne pas blesser la moto, Anna a fait un choix. Celui de se rengainer sur la droite. Dans la voiture qui lui coupait la route.
Elle l'a d'abord frappé. A perdu le contrôle de la moto, qui est allé se planter dans une voiture à l'arrêt, en face. Anna a fait un soleil. Sa tête s'est écrasée contre le bitume.
Certains ont la chance de survivre après cela.
Anna a sauvé le conducteur de la moto qui arrivait en face. Et la jeune dans la voiture aura son permis.

(…)

Dès lors, la charge d'Elyo et de Willan revint à leur parrain et oncle maternel; Estéban Petrovski- Durial, qui les accueillit chez lui le soir même du drame, aussi fou de douleur qu'eux. Mais lui, en tant qu'adulte, s'était fait le devoir de ne pas pleurer devant eux. Ce fut sur cette note grave que débuta la nouvelle vie des jumeaux Spirtyan, en ce vendredi silencieux d'été.

Ce n'est pas ma mère, et pourtant je dois me retenir pour ne pas chialer.
Cette phrase, Elyo se la répétais, effondré sur son nouveau lit. Un nouveau lit accordé par la fatalité du destin, qu'il s'était juré de ne jamais aimé. Il détestait tout; tout ce qui arrivait, à toute vitesse, lui imposant les consignes d'une nouvelle vie. Une nouvelle maison, un nouveau tuteur, une nouvelle chambre, de nouvelles odeurs. Il ne s'y faisait pas: il n'arrivait pas à s'y faire; tout allait trop vite, et son cerveau avait décroché lorsqu'il avait appris au téléphone l'accident de sa mère. Il ne voulait pas y croire, mais il avait eut devant les yeux le spectacle de sa mère, allongé entre des draps blancs, un tube dans la bouche, sur un brancard poussé par des hommes pressés. Il n'avait pas pu lui dire quoi que ce soit; les portes du bloc opératoire s'étaient refermés avec une évidente cruauté, refusant de le laisser entrer, lui et Willan. Ils étaient restés là, silencieux, décrochés de la réalité. Paumés.
Ce n'est pas ma mère... c'est ma maman...
Dans un feulement de rage, de colère, envers lui et le monde entier, Elyo mordit dans ses draps, laissant les larmes lui échapper, et déchira le tissu vierge de son odeur, dans un craquement vengeur.

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