Anna était belle.
Petite, mince, un look très hippie: des dreadlocks dans les cheveux,
des perles accrochées au bouts des nattes, un ruban vert ou rouge
dans les cheveux, un regard très doux... bavarde ou silencieuse,
lunatique, d'épaisse lunette cul-de-bouteille qu'elle mettait pour
lire, des baggys en lin ou des hauts en toile... une vraie maman
poule qui ne faisait pas ses trente cinq ans... Elle avait aussi un
passé lourd, mais ses études de neuropsychologie l’avaient mené
loin. Elle n'était pas orgueilleuse, et prenait la vie comme elle
venait. Bohème.
Elle était la mère là
quand il le fallait, chiante a toujours surveiller les leçons, mais
première à défendre la cause des êtres proches. Loin d'être
naïve ou manipulable, ses trente ans de sport de haut niveau avait
fait d'elle une forte personnalité. A rencontrer.
Toujours le dernier mot,
même quand elle avait tord.
C'était à la fois la
mère et la sœur.
Aussi, quand le téléphone
sonna, vers midi, à la maison, et qu’Elyo décrocha, le monde
s'écroula.
(…)
Anne-Sophie, une amie
d'Anna, vint les chercher pour les mener à l'hôpital. Et pourtant,
elle était à trente, en moto. L'automobiliste n'avait pas regardé.
Selon les témoins, Anna
avait tenté de ranger la moto à gauche, pour passer sur l'autre
voie, au moment où une autre moto arrivait dans le sens inverse
d'Anna. Afin de ne pas blesser la moto, Anna a fait un choix. Celui
de se rengainer sur la droite. Dans la voiture qui lui coupait la
route.
Elle l'a d'abord frappé.
A perdu le contrôle de la moto, qui est allé se planter dans une
voiture à l'arrêt, en face. Anna a fait un soleil. Sa tête s'est
écrasée contre le bitume.
Certains ont la chance de
survivre après cela.
Anna a sauvé le
conducteur de la moto qui arrivait en face. Et la jeune dans la
voiture aura son permis.
(…)
Dès lors, la charge
d'Elyo et de Willan revint à leur parrain et oncle maternel; Estéban
Petrovski- Durial, qui les accueillit chez lui le soir même du
drame, aussi fou de douleur qu'eux. Mais lui, en tant qu'adulte,
s'était fait le devoir de ne pas pleurer devant eux. Ce fut sur
cette note grave que débuta la nouvelle vie des jumeaux Spirtyan, en
ce vendredi silencieux d'été.
Ce n'est pas ma mère, et
pourtant je dois me retenir pour ne pas chialer.
Cette phrase, Elyo se la
répétais, effondré sur son nouveau lit. Un nouveau lit accordé
par la fatalité du destin, qu'il s'était juré de ne jamais aimé.
Il détestait tout; tout ce qui arrivait, à toute vitesse, lui
imposant les consignes d'une nouvelle vie. Une nouvelle maison, un
nouveau tuteur, une nouvelle chambre, de nouvelles odeurs. Il ne s'y
faisait pas: il n'arrivait pas à s'y faire; tout allait trop vite,
et son cerveau avait décroché lorsqu'il avait appris au téléphone
l'accident de sa mère. Il ne voulait pas y croire, mais il avait eut
devant les yeux le spectacle de sa mère, allongé entre des draps
blancs, un tube dans la bouche, sur un brancard poussé par des
hommes pressés. Il n'avait pas pu lui dire quoi que ce soit; les
portes du bloc opératoire s'étaient refermés avec une évidente
cruauté, refusant de le laisser entrer, lui et Willan. Ils étaient
restés là, silencieux, décrochés de la réalité. Paumés.
Ce n'est pas ma mère...
c'est ma maman...
Dans un feulement de
rage, de colère, envers lui et le monde entier, Elyo mordit dans ses
draps, laissant les larmes lui échapper, et déchira le tissu vierge
de son odeur, dans un craquement vengeur.
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