Elyo rit.
Ils avaient mis moins
d'un an, finalement.
Les sept mois de voyage,
ou ils avaient tout utilisé pour aller plus vite, leurs avaient en
tout cas permis quelque choses, a eux tous.
Bleue, Fline, Willan,
Elyo.
Désormais, ils étaient
tous amis.
Bien qu'encore renfermés
sur eux même, et encore méfiants face à ce nouveau monde, Elyo et
Willan avaient muris.
Et liés par une chose
dont ils ne connaissaient que le nom, mais cela avait encore peu
d'importance.
Ensemble, durant sept
mois, ils avaient affrontés les Loups, les Ours, les brigands, la
peur et la faim.
Ou la souffrance ...
Elyo et Willan avaient
grandis de vingt centimètres, environ, et dépassaient Bleue d'une
demie tête Celle-ci, plus athlétique, avait sut garder sa beauté
durant tout le voyage, et ses chansons, chaque soir, avait redonné
de l'entrain a la troupe.
Surtout le samedi.
L'étrange malédiction
qui régnait sur les garçons Spirtyan devenait problématique. Ils
n'avaient put se déplacer le samedi, obliger de rester coucher,
tellement la douleur avait été forte. Chaque semaine, durant une
demi-année, Elyo et Willan avait connu l'Enfer.
Leurs cotes semblaient
avoir été brisées, leurs cranes explosaient, les cœurs
haletaient, les chevilles se tordaient. Ils l’avaient nommée
Maladic.
Et aussi, les garçons
crachaient beaucoup de sang depuis un mois. Depuis leurs quatorze
ans.
Leur corps ne supportait
plus cet excès. Elyo en avait mal au cœur rien que d'y penser. Par
deux fois, durant tout le voyage, il avait cru mourir. Ces deux
derniers samedi, le sang avait coulé a flot, et il avait failli
assommer Fline qui tentait de le maintenir, mais la douleur l'avait
tellement transpercé, irradié a ce moment là, quand Fline l'avait
touché, que le pauvre petit garçon avait été éjecte, deux mètres
plus loin, déboussolés. Dans ses larmes de douleurs, Elyo avait
essayé de s'excuser, mais la douleur l'avait fait sombrer dans un
univers de ténèbres et de sang.
Il s'était réveillé,
le lendemain, du sang partout sur lui. La crise était de plus en
plus violente.
Mais bien que cet
obstacle de poids empêchait les quatre jeunes gens de voyager plus
vite, leur amitié et leur dévouement les uns pour les autres ne
s'en trouvais qu'améliorée.
Ils se connaissaient
mieux, maintenant.
Fline pouvait désormais
délibérer avec Willan et Elyo, bien que ce dernier préfère encore
Flinoser.
Bleue et Willan avaient
été mis au courant du singulier don de télépathie du garçon, et
avait été étonné que les yeux de cristal et les yeux d'émeraudes
puisse partager une conversation intime.
Bleue souriait beaucoup,
désormais. Elle était douce quand il fallait l'être, mais
n'hésitait pas à frapper Elyo ou Willan quand ceux-ci
l’importunaient.
Seul Willan avait appris
à la craindre.
Elyo, lui, semblait ne
pas remarquer les ondes néfastes qui se déversaient sur lui, quand
il affichait souvent sa tête hilare. Ce qui était très dommage
pour ses dents.
- Quatorze ans et toutes mes dents!
Fline, le petit garçon,
avait lui aussi grandi. Son visage s'était un peu durci, mais ses
yeux de cristal restaient purs et magnifiques .Il était aussi
désormais capable de pouvoir se transformer en un oiseau de couleur
grise, dont la tête carrée et sage, le bec petit, acéré et
recourbé, les grandes prunelles sombres et rondes, et la fait qu'il
puisse tourner sa tête à trois cent soixante degrés, le faisait
ressembler a une chouette ou un hibou.
A un détail près.
Une troisième patte,
munie de serre redoutable, était anatomiquement incompatible avec
une simple chouette ou un hibou.
Anatomiquement.
Pour effrayer Bleue,
Fline aimait beaucoup tourner lentement sa tête dans le sens complet
d'une aiguille d'une montre, puis pousser un ululement strident.
Cri a tout les coups.
Willan riait beaucoup.
Solémio un peu moins.
Le jeune Kalionss allait
sur ses sept mois, et il avait désormais atteint la taille d’un
jeune labrador.
Un labrador recroquevillé
sur lui même, ses formidable muscles tendus à l'extrême, le dos
rond, les yeux affamés.
Pauvres petits oiseaux et
lapins imprudents.
Très imprudents.
Willan avait désormais
trouvé le moyen de manger sans avoir besoin de chasser ou d'aller a
la pèche. Solémio s'en occupait.
Un peu trop, d'ailleurs.
Une semaine avant
d'arriver a la frontière de la plaine de Tylyn, un matin, en se
réveillant sous les rires appréciateurs de Bleue et d'Elyo, il
avait découvert le cadavre encore chaud d'un gros rat noir.
Il avait alors expliqué
aux moqueurs qu'un félin présente souvent son respect a son maitre
en lui offrant à manger, à manger encore chaud.
Elyo avait alors voulu
demander à Willan s'il devait manger son rat, quand il avait compris
toute la symbolique de ce geste. Le jeune Kalionss, le fauve
meurtrier, avait un sens de l'honneur développé.
(…)
Elyo ferma les yeux. Le
vent souffla doucement sur son visage venant faire flotter ses longs
cheveux.
Bleue, Willan et Fline
s'arrêtèrent eux aussi pour contempler leur victoire. En dessous
d'eux, à environ cinq kilomètres, le gigantesque lac de
Flanioryminatalionirual, étendue d'eau ancestrale, et s'étendant
sur des centaines de milliers de mètres, et disparaissant aux pieds
des montagnes dominantes, le « Miroir des Âmes », ou
« Miroir des Dieux » ; traçait en la terre une
éclatante cicatrice fluide.
L'eau argentée
sillonnait entre les hautes montagnes et collines, et en son centre,
bien qu’en altitude, Elyo ne put ignorer Spirtyano: l'Arbre
Millénaire, celui dont les racines liaient à elles seules la terre
des deux continents. L'arbre support. Mais aussi, selon son nom:
l'Ombre Astrale.
Son nom n'était pas dut
au hasard. L'arbre rayonnait d'une magie oubliée, d'une puissance
disparue. C'était l'Arbre Sacré. L'Arbre au Dieux.
Elyo trembla. Il avait la
chair de poule. Le fait de se retrouver devant un arbre mystique
portant son nom lui faisait un choc, … Karly lui avait autrefois
appris la provenance de Spirtyan.
« Elyo, écoute
moi, écoute je te dis. Alors? Tu te calmes? Bon, regarde cette
esquisse... tu sais ce qu'elle représente? Regarde bien, mon
poussin... C'est l'Arbre Spirtyano... »
La voix de Karly, comme
une caresse du temps, disparut dans sa tête. La voix de son père
laissait place à la voix d'un fou.
« Elyo
Spirtyan... »
Elyo ferma les yeux.
« Regarde Elyo, tu
es l'ombre astrale, mon chéri... »
Papa.
Une larme sembla tomber
du ciel, pour venir s’écraser sur le sol de son désespoir.
Une larme qui aussitôt
se transforma en des cadavres fumants, semblant darder sur lui des
regards pleins de reproches.
Elyo se retourna vers
Bleue. Elle fixait le ciel d'encre qui se reflétait dans l'eau
bleue. Il s'approcha d'elle.
- Est-ce que ça va? Demanda-t-il doucement.
- Mmh, marmonna t'elle, lorsque tu me demandes si ça va, tu t'apprêtes toujours à me demander quelque chose.
- Oui, répondit-il en lui répliquant un sourire rayonnant. Dans combien de temps seront nous à Reiche Stadt, tu penses?
- Au mieux, je dirai dans deux jours, répondit-elle, s'attirant les attentions des trois garçons, car nous devons trouver un moyen de traverser le lac, et ensuite, dit elle en tendant le doigt, nous devrons contourner Shulia,
La Montagneuse.
Le regard de Willan, de
Fline et d'Elyo se tournèrent automatiquement dans la trajectoire du
doigt de Bleue, et aussitôt, ils virent la Shulia, la frontière
royale.
La Shulia était une
chaine de montagnes qui entourait le Ful-Reiche Stadt.
Cette défense naturelle
avait souvent protégé le pays (Ful) des Rois, et même aujourd'hui,
des assaillants seraient stoppés net devant cette barrière.
Elyo nota soudain un
détail singulier: des cris résonnaient en bas de la corniche. Les
cinq se penchèrent et purent observer la cause du tapage : une
quinzaine de cavaliers louches avaient stoppés un convoi de quatre
caravanes. Et jetait leurs passagers sur le sol, les maltraitants.
Horrifié, Elyo vit un
Viel homme se faire couper la main. Violemment, il se redressa. Des
yeux, il chercha rapidement autour de lui. Il découvrit rapidement
ce qu'il cherchait.
- Will, Bleue, Fline! Par là!
Ils acquiescèrent, et
d'un même mouvement, coururent vers le petit chemin escarpé qui
permettait de descendre la corniche. Fline, qui était a l’avant,
eu soudain une idée, et d'un acquiescement mental avec Elyo poussa
un grand cri, qui dans sa gorge à la langue coupé, résonna comme
étranglé; morbide. Les cavaliers, qui n'étaient plus qu’à
quelques centaines de mètres, se retournèrent soudain vers eux, et
un cheval se cabra. Son cavalier le maitrisa rapidement, et se mit
soudain à rire, observant les renforts: des gamins, avec un petit
garçon qui courait devant. Son rire cruel se mua en un rictus
effrayé quand le petit garçon fit place à un Aquila blanc,
déployant des ailes de cinq mètres chacune, sa visage se déchirant
en un bec cuivré, et décollant du sol, des serres acérées se
vrillant dans la direction des chevaux. Un hurlement suraigu
s'échappa de la gorge de l'homme, qui fit cabrer son cheval
épouvanté. Une vague de terreur s'empara de la troupe des
cavaliers, qui s'enfuirent au galop, devant la forme monstrueuse de
l'Aquila meurtrier.
Elyo se roulait par
terre, mort de rire. La débandade des voleurs et leur panique
étaient hilarants. Des cris de souffrance le firent taire. Le Viel
homme saignait abondamment, et ses compagnons, épouvantés,
s'agitaient autour de lui.
Bleue se précipita. Elle
attrapa une longue toile rêche blanche et en déchira un long
morceau. Elle fit rapidement calmer la petite troupe, et fabriqua
tant bien que mal un garrot de fortune.
- Il faut que vous respiriez profondément. Calmez-vous.
Le Viel homme à la peau
parcheminée en pleurait de douleur, mais ses mâchoires crispées
indiquaient son combat contre la douleur.
Un jeune garçon, les
larmes ruisselantes sur ses joues bronzées, enlaça le Viel homme.
- Papy... Pa...Py...
- Ne t'inquiète pas, ça va aller le rassura Bleue souriante. Sa vie n'est pas en danger.
Le petit garçon le
foudroya du regard. Un homme s'approcha d’eux, encore secoué, et
posa sur le Viel homme un regard empli d'une tristesse infinie.
- Père, je m'excuse, murmura doucement l'homme en s'agenouillant devant le vieux.
Celui ci avait coincé
son bras sous son aisselle, et la pâleur avait envahi son visage.
- Monsieur? Se risqua Elyo.
Le vieil homme fit
soudain une chose étonnante: il sortit un poignard aux décorations
occidentales sur la garde, et d'un rapide mouvement, se l'enfonça
dans la poitrine. Le cœur d'Elyo cessa de battre au moment où la
lame s'enfonça dans celui du vieux. Doucement, les yeux fatigués
se refermèrent, et le corps ramassé tomba lentement dans les bras
de son fils, tandis que le petit garçon hurlait de désespoir. Deux
femmes et un autre homme vinrent autour du cadavre et aidèrent le
fils du défunt à la porter sur un brancard.
Elyo les yeux grands
ouverts, n'arrivait plus à réagir: son cerveau avait décroché.
Willan lui, trépignait.
- Maisquesskisssestpassé? Maisquesskisssestpassé?
Bleue se releva, un
rictus de dégout sur le visage.
- Ce sont des musiciens.
- Hein?
- Des musiciens Tril-Fan, ou plus exactement; les musiciens aux deux mains. Ils ont pour coutume de savoir jouer avant même de parler.
Elyo, paralysé par
l'horreur, ne comprenait pas.
- Mais, quel est le rapport, demanda pour lui Willan.
Bleue regarda le
brancard, et détournant ses yeux du petit garçon qui pleurais tout
seul dans son coin, elle souffla.
- Les Tril-Fan n'ont pas pour habitude de jouer d'une main.
Et elle contourna les
caravanes, intimant les garçons de la suivre, de continuer, sans se
détourner.
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