lundi 4 février 2013

6. Estéban


Dérivant à des centaines d'années lumière, Willan était assis en position du lotus sur le canapé, son regard éteint de toute étincelle habituelle. Son regard vert était assombri par le voile du bouleversement, et son attitude figée trahissait les hurlements qui se déchiraient en travers de son crâne. Willan voulait tout détruire: il savait que c'était insurmontable, à la longue, aussi avait il décidé de tout affronter, en une seule fois, et d'éradiquer la douleur. Mais pour cela, il s'y plongeait pleinement, assis sur ce canapé inconnu. Les rires d'Anna, ses caresses, ses grondements, ses menaces, ses blagues, ses sourires, ses repas, ses mots, sa voix; tout se mêlaient dans une construction abstraite, qui semblait ne pas le toucher, qui n'effleurait pas son esprit. Et pourtant, il essayait de l'attraper; de retenir, de ressentir tout ces souvenirs; cette impossibilité le blessait plus que tout. Il ne voulait pas être passif, il ne voulait rien oublier, il voulait souffrir maintenant pour ne plus avoir mal. Pour ne plus jamais être triste. Il savait trop comment ce genre de traumatisme pouvait affaiblir un homme, et Willan refusait de subir dans sa vie des choses qui commanderait ses actions à la place de sa raison.
Il avait l'impression de saigner à l'intérieur.

(...)

Willan étudiait en silence autour de lui son nouveau chez lui. Il ne connaissait pas Estéban. Ce dernier, bien que parrain des jumeaux, n'avaient fait que rarement acte de présence: il était venu au repas de Noël organisé par Anna deux ans auparavant. Les jumeaux y avaient découvert le frère de leur mère; un jeune homme brun, aux longs dreadlocks. Il avait les mêmes yeux noisettes qu'Anna, et portait une barbiche au menton. Habillé comme un cow-boy, il portait des effets de cuir tanné. Chose agréablement notable, cependant, de toute la soirée; leur parrain n'avait cessé de sourire et de présenter un caractère jovial et enjoué qui avait charmé les jumeaux. Mais à part ce repas de Noël, les jumeaux ne l'avaient jamais vraiment revu. Cependant, Anna et Estéban habitaient la même ville. Estéban était informaticien et travaillait souvent chez lui.
(...)

Willan quitta le salon en silence. Il ne savait pas où était passé Estéban, mais il avait profité de son absence pour visiter la maison: possédant un seul étage, le salon était certainement la pièce la plus grande de toute la maison, et toute la structure architecturale du lieu semblait se composer justement à partir du living-room. La cuisine en était séparée uniquement par un large pan de mur. Un couloir, partant de l'entrée du salon, bifurquait en deux directions: le hall d'entrée et les autres salles. La chambre réservées aux jumeaux, encore vides des affaires de ces derniers, étaient au fond de ce couloir. Willan s'y rendit en silence, poussant doucement cette porte qui protégerait désormais son lieu de vie à venir. La chambre était inconnue. Mais malgré lui, Willan du reconnaître qu'elle lui plaisait. Grande, spacieuse, elle avait les avantages que sa chambre précédente n'avait pas: elle était suffisamment espacée pour ses affaires et celles d'Elyo. Mentalement, il imagina: les étagères d'Elyo contre ce mur, leur armoire ici, un bureau là, et l'autre ici; la bibliothèque près de la fenêtre, le tapis au sol, deux, trois chaises contre les murs, la collection de toupies de son frère sur une planche qu'ils pourraient fixer au mur, et les quelques posters qui couvraient normalement les murs. Un vague sourire étira ses lèvres, et il se rendit près d'Elyo, s'asseyant près de lui.
  • Lentement, le silence se réinstalla.
  • Je ne sais pas quoi dire.
  • Pense.
  • Je ne sais pas quoi penser.
  • Moi non plus.
Willan eut un sourire bref, puis soudainement, fondit en sanglot. Elyo ne réagit que très lentement, glissant ses doigts sur l'épaule de son petit frère.

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