Dérivant à des
centaines d'années lumière, Willan était assis en position du
lotus sur le canapé, son regard éteint de toute étincelle
habituelle. Son regard vert était assombri par le voile du
bouleversement, et son attitude figée trahissait les hurlements qui
se déchiraient en travers de son crâne. Willan voulait tout
détruire: il savait que c'était insurmontable, à la longue, aussi
avait il décidé de tout affronter, en une seule fois, et
d'éradiquer la douleur. Mais pour cela, il s'y plongeait pleinement,
assis sur ce canapé inconnu. Les rires d'Anna, ses caresses, ses
grondements, ses menaces, ses blagues, ses sourires, ses repas, ses
mots, sa voix; tout se mêlaient dans une construction abstraite, qui
semblait ne pas le toucher, qui n'effleurait pas son esprit. Et
pourtant, il essayait de l'attraper; de retenir, de ressentir tout
ces souvenirs; cette impossibilité le blessait plus que tout. Il ne
voulait pas être passif, il ne voulait rien oublier, il voulait
souffrir maintenant pour ne plus avoir mal. Pour ne plus jamais être
triste. Il savait trop comment ce genre de traumatisme pouvait
affaiblir un homme, et Willan refusait de subir dans sa vie des
choses qui commanderait ses actions à la place de sa raison.
Il avait l'impression de
saigner à l'intérieur.
(...)
Willan étudiait en
silence autour de lui son nouveau chez lui. Il ne connaissait pas
Estéban. Ce dernier, bien que parrain des jumeaux, n'avaient fait
que rarement acte de présence: il était venu au repas de Noël
organisé par Anna deux ans auparavant. Les jumeaux y avaient
découvert le frère de leur mère; un jeune homme brun, aux longs
dreadlocks. Il avait les mêmes yeux noisettes qu'Anna, et portait
une barbiche au menton. Habillé comme un cow-boy, il portait des
effets de cuir tanné. Chose agréablement notable, cependant, de
toute la soirée; leur parrain n'avait cessé de sourire et de
présenter un caractère jovial et enjoué qui avait charmé les
jumeaux. Mais à part ce repas de Noël, les jumeaux ne l'avaient
jamais vraiment revu. Cependant, Anna et Estéban habitaient la même
ville. Estéban était informaticien et travaillait souvent chez lui.
(...)
Willan quitta le salon
en silence. Il ne savait pas où était passé Estéban, mais il
avait profité de son absence pour visiter la maison: possédant un
seul étage, le salon était certainement la pièce la plus grande de
toute la maison, et toute la structure architecturale du lieu
semblait se composer justement à partir du living-room. La cuisine
en était séparée uniquement par un large pan de mur. Un couloir,
partant de l'entrée du salon, bifurquait en deux directions: le hall
d'entrée et les autres salles. La chambre réservées aux jumeaux,
encore vides des affaires de ces derniers, étaient au fond de ce
couloir. Willan s'y rendit en silence, poussant doucement cette porte
qui protégerait désormais son lieu de vie à venir. La chambre
était inconnue. Mais malgré lui, Willan du reconnaître qu'elle lui
plaisait. Grande, spacieuse, elle avait les avantages que sa chambre
précédente n'avait pas: elle était suffisamment espacée pour ses
affaires et celles d'Elyo. Mentalement, il imagina: les étagères
d'Elyo contre ce mur, leur armoire ici, un bureau là, et l'autre
ici; la bibliothèque près de la fenêtre, le tapis au sol, deux,
trois chaises contre les murs, la collection de toupies de son frère
sur une planche qu'ils pourraient fixer au mur, et les quelques
posters qui couvraient normalement les murs. Un vague sourire étira
ses lèvres, et il se rendit près d'Elyo, s'asseyant près de lui.
- Lentement, le silence se réinstalla.
- Je ne sais pas quoi dire.
- Pense.
- Je ne sais pas quoi penser.
- Moi non plus.
Willan eut un sourire
bref, puis soudainement, fondit en sanglot. Elyo ne réagit que très
lentement, glissant ses doigts sur l'épaule de son petit frère.
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