Il marchait sur la plage.
Un pas. Puis un autre. Puis un pas. Puis un autre. Puis un pas. Puis
un autre. Et cela jusqu'à ce qu'il atteigne l'autre bout de la
plage. Mais il n'y a avait pas d'autre bout. Il n'y avait que l'eau,
à droite, les rochers noirs, à gauches, et le sable devant lui. Et
ses empreintes derrière.
Elyo se réveilla. Il
n'avait dormi que quelques heures. Encore lui. Il rêvait encore de
lui. La lune brillait aux dessus des arbres. Il referma les yeux. Il
sentit la respiration calme et lente de Willan contre son épaule. De
quoi rêvait Willan ? Vers quel ciel nuageux et mystérieux s'était
t-il envolé. Sous quel océan brumeux et profond nageait-il ? Sur
quelle terre riche et sauvage courait-il chaque nuit ? Elyo ouvrit à
demi les yeux. Il prit la main de son frère, et la serrant, se
rendormit. Silencieusement, Bleue referma a son tour les yeux.
Willan ouvrit les yeux,
baignant dans la clarté du matin. Il sourit quand il comprit qu'Elyo
avait tenu sa main cette nuit. Délicatement, il l'a dégagea, et
s'assit. Il leva la tête. Les rayons du soleil perçants vinrent
éclairer son visage halé. Il ferma ses yeux, et d'un geste précis,
recoiffa ses cheveux noirs ondulés. Fline était réveillé lui
aussi. Il observait des petits oiseaux manger le pain qu'il leur
lançait. Willan sourit. Cette journée s'annonçait merveilleuse. Il
avait oublié la dispute de la veille. Il remarqua soudain la
présence d'une boule de poil chaude sur ses genoux, et reconnut
Solémio. Le Kalionss, apparemment, le prenait pour son père. Il
caressa la fourrure souple et orangé, observant chaque motif, chaque
tache, chaque nuance de couleurs dans la robe mordorée du bébé.
Celui ci se mit à ronronner. Puis, le bébé ouvrit une minuscule
gueule, et soudainement poussa un rugissement si puissant que les
oiseaux s'envolèrent en piaillant, et Elyo et Bleue se réveillèrent
en sursaut.
- Willan ! Je vais me te le tuer cette bestiole! Hurla Elyo, effrayant.
Bleue ricanait
nerveusement, les yeux encore exorbités. Willan caressa la tête
dorée du fauve. Du bébé fauve.
- Je crois qu'il a faim, désolé …
Il attrapa une bouteille
de lait, et la vida dans la gorge du bébé. Solémio referma les
yeux, et se remit à ronronner.
- Mouais... ça va.
Elyo bougonna, puis,
vaincu, admira le singulier tableau qu'était son frère en train de
prendre soin d'un bébé. Il resta un instant à rêver qu'un jour
lui aussi aurait des enfants. Et la maman serait... Elyo fronça ses
sourcils noirs. Pourquoi les yeux de Bleue apparaissaient t-ils ?
Il se leva. Bleue l'imita
et dépoussiéra sa jupe turquoise.
- De quel genre de quête vous occupiez vous, avant de nous rencontrez ?
- Ce n'était pas très important. Il fallait qu'on ramène des champignons qui ont des effets régénérateurs de cellules. C'était pour une guérison.
- Je vois. Donc… là, on va partir. On va commencer notre histoire ?
Bleue, Willan, et Fline
sourirent ensemble.
- Oui, maintenant, l'aventure commence.
Lorsque midi fut là, et
qu'Elyo eut tout rangé, et eut terminé de trier tous les objets,
de nettoyer et de vider le camp, et d'avoir fait disparaître toute
trace de leurs séjours ici, ils se rassemblèrent.
- La première chose, est que ferons-nous dès que nous quitterons cet endroit ?
- Je pense que dans un premier temps, il nous faut le maximum d'informations sur l'Heimer. Tout ce qui concerne ce sujet doit être connu. Ensuite, nous suivrons la route...
- Donc ?
- Il faut aller dans le lieu ou le maximum de renseignements peut se trouver.
- Et c'est ?
Bleue ferma les yeux,
puis sourit. Elyo redouta le pire.
- Reiche Stadt, la capitale de Straelitzie.
Moment de silence. Puis.
- OK... ça va être du gâteau.
- Bien sur, à pied on ne mettra qu'un an pour y arriver.
- Peut être que si l'on court...
Ils explosèrent de rire
puis mirent leurs sacs. Elyo et Willan se tournèrent une dernière
fois vers Faier-Hayrdhann.
- Mélancoliques ? Demanda Bleue.
- Ça... répondît Elyo.
- ...Jamais! Enchaîna Willan, en tenant Solémio.
Et enfin, tandis qu'une
nouvelle journée débutait, le groupe des quatre premiers Aymeric se
dirigea vers le Nord, en marche vers leur destin.
En marche vers l'Heimer.
(…)
Souvenirs.
Je marche. Depuis si
longtemps. Je ne tourne pas la tête. Il n'y a rien à voir. J'avance
vers la voix.
Elle m'appelle depuis si
longtemps. Elle s'est presque tue. Elle n'est plus qu'un murmure
depuis bien longtemps. Je sais que je suis proche ; que bientôt,
j'arrêterais de marcher.
Mais quand ce moment
viendra. J'aurai peur, car plus rien ne sera comme avant.
Et ce moment est arrivé.
Je pose mon pied nu sur le sable qui crisse une dernière fois.
Devant moi, il n'y a rien. Rien. Ni la mer, ni les rochers, ni le
sable. Aucune couleur. Je ferme les yeux. Je ne peux observer le
rien. Personne ne le peut. C'est différent d'observer du noir, ou du
blanc. Là, on regarde, mais il n'y a rien. Le sable, à mes pieds,
s'arrête brutalement. Je rouvre lentement les yeux. Que faire du
néant.
Il faut l'embrasser.
J'avance.
Je hurle.
Je sens qu'on cherche à
m'attirer. Pourquoi?
« Ouvre les yeux! »
Mon
corps ne bouge plus. Que se passe-t-il ?
« Ouvre
les yeux! S'il te plaît, ouvre les yeux! »
La
voix est déchaînée. Pourquoi?
Un
son long se fait entendre. Ce qui était tout à l'heure des
bourdonnements s'intensifient et se transforment en voix.
« On
le perd. »
« Dépêchez
vous! Allez chercher les sédatifs!! »
« Vite! »
Mais
au milieu de toutes ces voix. Une seule. Féminine.
« Ouvre
les yeux! »
Un
mot me vient à l'esprit. Un mot que je ne connais pas. Un mot
oublié, disparu depuis longtemps.
« Maman... »
Ma
poitrine s'ouvre, et je souhaite plonger dans la torpeur, mais la
douleur ne me le permet pas.
« Ouvre
les yeux. »
La
voix... elle a changée...
« Ouvre-les. »
Masculine.
Karly pose la main sur le
visage mort. Il n'a pas réussi. Il y avait eu une déficience
cérébrale. Que rien ne pouvait contrer.
Karly leva la tête. Le
laboratoire était vide désormais. Il aurait souhaité tous les
tuer, mais, il ne pouvait pas se permettre de gâcher autant de vies
humaines.
Karly, lentement, reposa
son regard sur le corps qui flottait dans la karilium trois cent
vingt et un.
Spécimen cinq aurait du
être parfait.
Cela faisait combien de
temps, maintenant ?
Sept ans.
Sept ans que Karly se
battait pour que chaque souffle, chaque frémissement de paupière,
chaque signe de vie soit répété, encore, et encore. Mais
maintenant... c'était terminé.
Spécimen cinq était
mort ce matin, disparaissant comme la nuit quand le soleil envahit le
monde. Karly se leva. Il ouvrit la fenêtre du laboratoire. Et il
maudit ce soleil. De toutes ses forces, de toute sa pensée, de toute
son âme.
Karly ne pleurait jamais.
Sauf cette fois ci.
« Ouvre les yeux! »
Maman? Pourquoi ? Mon
corps me brûlait. C'était désagréable. Le feu. Le feu!
Karly se releva. Sa
respiration était haletante. Un éclair avait transpercé son
esprit. Un espoir, un unique espoir. Plus qu'un.
Karly, les yeux fous, se
mit immédiatement à réfléchir à la possibilité de ce choix.
L'action était elle possible?
Il sourit. Elle était
réalisable. Mais il y avait toutefois un obstacle.
Karly inspira
profondément. Il fallait qu'il réussisse.
Karly s'assit, en tentant
de retrouver son calme.
Il y avait un obstacle.
Un obstacle dangereux. Et si jamais, il n'arrivait pas à le
dépasser, ce serait fini.
Tous mourraient.
Karly ferma les yeux. Il
lui fallait un plan.
Un plan qui les
piégerait.
Et qui les obligerais a
ressuscité Spécimen cinq.
Non.
Pas Spécimen cinq.
Iudhaël Aryon.
Son fils.
Karly se releva. Ses yeux
noirs brûlaient d'un feu dévastateur. Il les retrouverait.
Il savait que cela allait
marcher.
Ils étaient trop
influençables.
Surtout lui.
Le petit protégé du
Teufel.
Karly ricana.
Cette fois ci, malgré la
protection, il réussirait.
Il réussirait à le
tromper.
Une fois de plus.
Cette fois ci, le Teufel
ne pourrait pas sauver Elyo.
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