Willan restait
silencieux. Les œufs avaient été brisés. Les bébés Kalionss
étaient morts. Willan s'approcha et délicatement caressa le pelage
doré/brun des presque morts nés. Le pouls ne battait plus. Un
détail affreux lui fit monter un haut-le-cœur. Les cinq petits
cadavres étaient encore tièdes. Ils venaient de mourir.
- Merde.
Willan était choqué.
S'il s'était dépêché, les bébés auraient survécus, peut être.
Une larme glissa sur ses
joues d'enfant. Willan se sentait coupable. S'il n'avait pas dit
qu'il voulait aller dans la forêt... le Kalionss ne se serait pas
jeté sur lui, et les bébés vivraient aujourd'hui.
Les sanglots le
terrassèrent et il chuta sur le sol. Il pleura tout son soûl. Puis,
restant sur le sol, il observa les minuscules gueules, fermés à
jamais. Il prit délicatement les corps et les déplacèrent, quand
soudain, en raclant le sol, la main de Willan balaya le sol, révélant
une petite bosse. Un œuf avait été enterré. Un œuf qui n'était
pas ouvert. Willan resta immobile. Y avait-il un survivant?
Lentement, il ôta la
coquille grande comme son avant bras, et le regarda, ahuri.
- Noooooooooon? Murmura-t-il, ébahi.
Il leva vers le soleil la
coquille et par transparence vit la vie.
Dans une membrane
visqueuse, un bébé Kalionss remuait faiblement. Ce n'était plus un
embryon, mais il ne tarderait pas à éclore .Willan tint un instant
le miracle dans ses bras, puis, il se leva. Laisser les corps des
bébés le répugnait, mais s'il pouvait sauver une vie...
Il n'hésita pas.
Il bondit comme un fou,
abandonnant la pelle et les œufs derrière lui. Les branches le
giflèrent, lui déchirèrent le visage, mais il ne ralentit pas sa
course effrénée. L’œuf pouvait éclore dans une minute comme
dans une semaine. Une semaine au maximum, certes, mais il ne pouvait
pas le laisser là. Un vautour pourrait le briser, ou alors il
éclorait et personne ne pourrait le sauver. Willan refusait de
laisser mourir ce Kalionss.
Il avait tué un
Kalionss, et sa dette était de réparer la mort d'un individu en
construisant la vie d'un autre. Willan arrivait maintenant près de
la rivière. Il bondit dans l'eau, et nagea d'une seule main, luttant
contre le courant. Il courut sur la berge, escalada les rochers,
traversa les ronces, glissa sur une pente sableuse, bondit par dessus
les bosquets, et enfin, hors d'haleine, atteint le lieu où Elyo et
lui dormaient depuis quatre semaines.
Ils avaient passés cinq
jours, sans pause ni relâche, pour construire un camp habitable,
naturel et discret. Loin, très loin de Faier-Hayrdhann.
Un assemblage d'une
quinzaine de troncs de bouleaux reliés entre eux, tel un radeau,
avait été hissé à deux mètres du sol, tenant lieu de plafond, et
recouvert de feuilles en tout genre. Quatre piliers de pierre
soutenaient le toit, et la terre avait été retournée, rendant le
sol plus malléable. Elyo avait eu l'idée de fabriquer des espèces
de rideau végétal, en accrochant plusieurs feuilles en longues
bandes vertes, afin de se protéger un peu du vent et de la pluie.
Willan s'était occupé de la fabrication, tandis qu'Elyo avait passé
deux bonnes heures à apporter les pierres pour les piliers. Ils
avaient dormi très profondément, ce soir là, épuisés par leur
labeur.
Ainsi, vivant dans la
forêt, ils passaient désormais leurs temps à méditer sur les
paroles de Bleue, et à s’entraîner.
Cela faisait donc quatre
semaines qu'ils vivaient dans la forêt. Elyo était occupé à
couper distraitement du bois, et il ne se retourna pas quand Willan
arriva en courant.
- Tu l’as enterré? Demanda t-il doucement, taillant en pointe la branche qu'il tenait à la main.
Willan prit le temps de
souffler, puis il coupa Elyo
- Regarde! Regarde ce que j'ai trouvé dans son nid!
Elyo, sceptique se
retourna, puis reconnaissant l'objet que Willan tendait vers lui, ses
yeux s'exorbitèrent.
- C'est … C'est …?
- Ouiiiiii! S'écria Willan, fou de joie. C’est le seul à ne pas avoir éclos, tu te rends compte! Si ce n’est pas un signe, ça !
Elyo prit délicatement
l'œuf, et le soupesa soigneusement, puis il le porta vers la
lumière. Un sourire adorable se peignit sur visage halé.
- Et il bouge .Willan, c'est génial!
Il rendit l'œuf à
Willan qui le pressa délicatement.
- Quand penses-tu qu'il éclora ?
- Franchement, au pire, deux semaines.
- Au mieux?
- ... Demain, ou après demain. Peut être même aujourd'hui.
Un silence s'installa sur
le camp.
- Tu veux le garder?
Des flammes de joie et de
détermination s'allumèrent dans les yeux émeraude de Willan. Il
repoussa une mèche noire et déclara.
- Je me porte garant de sa vie.
- Parfait, alors, il va falloir trouver une place dans notre nid pour bébé Kalionss.
Willan rit, puis caressa
amoureusement la coquille grise et épaisse de l'œuf. Un mouvement
se fit sentir sous ses doigts.
- Tu crois qu'il entend ce qu'on dit?
- Peut être. Mais ce n'est pas forcément ''il'', tu sais.
- Oh si, on peut connaître le sexe d'un individu Kalionss si l'on sait observer. Les marques les plus concluantes sont souvent la forme et la taille de la coquille, et aussi les motifs sur la surface. Et encore la position dans laquelle le bébé se tient dans la poche embryonnaire.
- Donc, c'est un mâle. Comment l'as tu vu?
- L'œuf est ovale. Chez les femelles, il est parfaitement circulaire. Les anneaux de la coquille en forme de rosace, et le bébé est en position assise. C'est donc un petit mâle.
- Comment est-ce, chez les femelles?
- L'œuf est rond, parce que le bébé est replié sur lui même, les anneaux sont très peu, et la coquille est souvent blanche.
- Comment fais tu pour retenir tout ça? Si j'étais roi, tu pourrais facilement me détrôner, avec tes connaissances.
- Si tu étais roi, je serai toujours a tes cotés, te conseillant. Et puis je ne te détrônerais jamais.
Ils rirent un moment,
puis remarquèrent que le soleil se couchait.
- Dans deux jours, ce sera le solstice du printemps.
- Dans deux jours, ils viendront.
- Ils sont peut être déjà en route.
- Oui, je reverrai Bleue.
Elyo, ébahi, regarda
Willan, qui semblait rêver.
- Noooon?
- Quoi?
- J'aurais du m'en douter !
- Quoi?
- Willan... tu es amoureux !
- Hein? Non!
- Mais si !
- Bien sur que non !
- C'est vrai ?
- Oui.
- Cool, tu me la laisse?
- Jamais !
- Tu vois : tu es amoureux !
- Je te hais.
- Moi aussi, mon amour.
- Bonne nuit, frère indigne.
- Je t'aime aussi.
Cette nuit là, Elyo fit
un rêve étrange.
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