vendredi 8 février 2013

15. Aller... retour?


Un garçon, seul, marchait sous la lune, sur un sable gris. Il devait avoir treize ou quatorze ans. Il marchait lentement, sans faire attention ou il allait. Il s'arrêta un instant, puis s'assit sur le sable et regarda les vagues lointaines. Il avait l'air si calme, si apaisé. Il savait que son nom était Iudhaël.

Elyo se remit debout. Chancelant, il agrippa un meuble, et se dirigea vers le mur. Il s'y adossa, inspira un bon coup et fit quelques pas. La tête lui arrêta de tourner, et il réfléchit: pourquoi allait il si mal? Pourquoi ne rêvait-il que de ce garçon?
Il s'essuya le corps, et enfila un peignoir.

À l'étage d'en dessous, Willan, lui était sur le canapé de cuir de Viangrill. Très souple, très résistant. Un cuir excellent.
Willan regardait un portrait, accroché au dessus de la cheminé. Lui, Elyo et Karly, cinq ans plus tôt, fixaient l’objectif. Elyo souriait franchement, lui, avait un sourire timide, et Karly observait, la main sur l'épaule de chacun de ses fils, la tête brune d’Elyo, avec un petit air absent. Karly avait souvent préféré Elyo, songea le jeune métis. Mais quelle était la cause de cet état d'absentéisme sur le cliché? Enfant, il s'était souvent posé la question.
Willan médita un instant. Pourquoi? Tant de questions sans réponses, de gestes incompréhensibles, et de murmures oubliés. Qui était leur mère? Aucune photo, aucune parole ne la concernait. Elle était morte, et c'était tout. Il se souvint, qu'une fois, il avait demandé à son père s’il avait réellement une maman. Son père s'était alors figé, et n'avait rien répondu.
Aujourd'hui, Willan se posai la même question.
Est ce que j'ai vraiment eu une maman?
La réponse la plus logique était oui, mais pourquoi Karly ne leur en avait jamais parlé? Était-il si triste de la mort de sa femme qu'il refusait maintenant d'en parler, de les rassurer?
Il ne me rassure plus, maintenant, avec l'Heimer.
Willan ferma les yeux. Elyo pensait il à cela aussi ? Sûrement. Il les rouvrit et laissa son regard errer dans la grande pièce poussiéreuse. Il remarqua soudain que la bordure de nombreux cadres photo, la reliure de certain livres, et que le tapis a ses pieds, étaient bleus. Des yeux azur le transpercèrent, et Willan se plia en deux. Les yeux rivés sur le sol, il entendit les mots d'Elyo résonner dans son crane : « Willan... tu es amoureux. »
Il se passa la main dans ses longs cheveux, les boucles ébène lui glissèrent entre les doigts. Il n'arrêtait pas de penser à elle. Il ne pouvait pas être amoureux, il ne la désirait pas.
Il n'arrêtait pas de penser à elle.
  • Elle m'obsède, murmura d’il dans un souffle. Elle m'obsède vraiment.
  • Premier signe de folie amoureuse, mon cher petit frère.
Willan releva lentement la tête, et dévisagea lentement Elyo qui descendait silencieusement l’escalier, revêtu un peignoir fin et blanc. Elyo s'assit près de Willan, sur le canapé.
  • Qu'est ce que tu connais, en amour, Elyo?
Le silence s'installa. Le ton de Willan s'était fait dur et froid. C'était la première fois qu'il parlait ainsi à son frère. Étrangement celui-ci ne réagit pas.
  • Comment ? Comment la définis-tu? La vois-tu ?
Willan baissa lentement les yeux verts pour observer le sol.
  • Je n'arrête pas de penser à elle depuis que l'on s'est rencontré. Dès que je vois du bleu, ses yeux m'apparaissent. Je vois toutes les lignes de son visage. Et je n'arrête pas de rêver de ses mains …
Elyo regarda tranquillement son frère. Il posa la main sur son épaule.
  • Demain, normalement, nous les reverrons.
  • Ses yeux sont stupéfiants, envoûtants. Continua Willan, comme s'il n'avait pas entendu son frère. Ils m’ont figé. J'ai cru qu'elle me tuait. C'était très impressionnant comme sensation.
Elyo se rappela du regard de Fline.
  • Elle riait et me parlait, mais je fixais ses yeux, je n'arrivai pas à m'en détacher. Les yeux transparents.
  • Fline...
  • Quoi ?
  • Il … m'a fait le même effet. Il m'a paralysé, et il m'a parlé.
  • Pourquoi tu ne me l'a pas dit plus tôt?
  • Je te pose la même question.
  • Tu es amoureux... de Fline ?!
Elyo, ahuri, regarda Willan.
  • Euh... tu te sens bien ?
  • Ben, ... non, pas vraiment, en fait.
Ils rirent doucement puis fatigués, se couchèrent sur le canapé. Elyo posa la tête sur les genoux de Willan et ferma les yeux. Il s'endormit.

(...)

Le pouls était normal. Un bruit de crissement sur du papier se fit entendre. Un scientifique s’approcha. Il admira encore une fois le fruit de leur travail acharné; devant lui, dans une espèce de berceau, et dans un gigantesque cylindre de verre, empli d'un épais liquide vert, flottait un adolescent nu, en position fœtale. De nombreux tuyaux et fils et autres électrode était relié au berceau blanc. Seul deux minuscules câbles étaient reliés aux tempes du garçon. Ses cheveux ambrés ondulaient autour de son crane. Ses yeux étaient fermés. Il dormait. Et rêvait. Depuis plus de sept ans.
Il n'était pas encore terminé. Mais il serait certainement le plus parfait. Ainsi, reposant dans du karilium de soude trois cent vingt et un, et sous l'observation permanente et silencieuse de plus de cents hommes, la survie du spécimen numéro cinq était assurée.

Elyo se réveilla en sursaut. La sueur lui coulait sur le front. Il s'essuya du dos de la main et se leva. Il était seul sur le canapé, Willan s'étant éloigné, certainement réveillé depuis quelques temps déjà. Il s'étira et entendit un bruit de vaisselle dans la cuisine. Se dirigea vers cette dernière, il pénétra dans la pièce éclairée par un soleil jeune et brillant, et rendu joyeux par la luminosité de cette journée, souhaita aussitôt une bonne journée à son jumeau. Celui-ci ne répondit pas, les yeux perdus dans le vague.
  • Je parie que tu penses à elle. Ricana Elyo, malicieux.
  • Tu sais, c'est bizarre, j'ai l'impression qu'on ne se reverra pas.
  • En effet, bizarre, mais faux. On y va à midi.
  • C'est étrange, de se dire qu’on n’est pas tout seul. Que d'autre ont des dons, aussi.
  • Tu sais quoi, ça se trouve, on est une centaine comme ça !
  • Ça m’étonnerait.
  • Moi aussi.
Vers dix heures, ils terminaient leurs bagages. Elyo mettaient dans son sac de nombreux livres, manuscrits et notes. Willan caressait la coquille du Kalionss, qui depuis la veille avait pris une étrange couleur noir, faisant ressortir les cercles nacrés.
  • Pourquoi est il devenu noir ? Demanda Willan pour l 'énième fois.
  • Je ne sais pas, lui rendit Elyo, pour l'énième fois aussi. Peut être qu'il a peur ?
  • Une coquille aurait peur ?
  • Je parle du bébé !

Vers onze heures, ils partirent de chez eux, et traversèrent la ville, passant par Ofyr-Lan. En route, ils croisèrent des Hayrdhann, et nombreux furent ceux qui s'écartèrent, inquiets, suspicieux, ou étonnés. De temps à autre, une voix moqueuse s'élevait :
  • Vous partez enfin ? Pour de vrai ?
Elyo s'occupait rarement de ce genre de cas. Par conséquent, les piques continuaient. Mais quand il s'en occupait...
Cette fois ci, Elyo calme, se retourna. Son regard farouche s'était dardé à un homme costaud, qui avait perdu son sourire en voyant le jeune métis l'affronter directement.
  • Oui, nous partons. T'sais quoi? Tu vas pouvoir faire la fête, vu qu'on se casse. C'est cool, hein?
Personne ne lui répondit, mais tous les témoins échangèrent de longs regards, et certains se détournèrent lentement, se remettant à marcher, sans oser dire quoi que ce soit. Elyo reposa son attention sur Willan, et le plus tranquillement du monde, lui sourit. Willan l'imita, amusé, et rehaussant la sangle de son sac sur son épaule, se remit à marcher.

La sortie de la ville se fut calme, presque discrète. Elyo souriait sans arrêt, et il fit même quelques signes à quelque personne, qui murmurèrent aussitôt à d'autres. Elyo accéléra le pas et quand il fut devant la porte de pierre, il ne put s'empêcher de rire de joie.
  • Quand je pense qu'on va partir.

Willan avança pour sortir quand Elyo l'arrêta.
  • Tu te rends compte?
Willan sourit.
  • Et si je répondais non, pour une fois?
Ils franchirent l'enceinte de la ville, et avancèrent d'un bon pas, mais silencieux. Ils marchèrent vers le nord pendant quelques minutes, puis, ils traversèrent d'épais champs de blés sauvages, leur arrivant jusqu'à la taille. Elyo était en avant, les yeux fixés sur l'étendue sombre et verte de la forêt qui se rapprochait à chaque pas. Elyo courut en avant, et s'arrêta sous l'ombre froide des premiers arbres. Willan le rejoignit et dans un regard, s'enfoncèrent dans le royaume mystérieux des racines noueuses et des feuilles lourdes.

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