Un garçon, seul,
marchait sous la lune, sur un sable gris. Il devait avoir treize ou
quatorze ans. Il marchait lentement, sans faire attention ou il
allait. Il s'arrêta un instant, puis s'assit sur le sable et regarda
les vagues lointaines. Il avait l'air si calme, si apaisé. Il savait
que son nom était Iudhaël.
Elyo se remit debout.
Chancelant, il agrippa un meuble, et se dirigea vers le mur. Il s'y
adossa, inspira un bon coup et fit quelques pas. La tête lui arrêta
de tourner, et il réfléchit: pourquoi allait il si mal? Pourquoi ne
rêvait-il que de ce garçon?
Il s'essuya le corps, et
enfila un peignoir.
À l'étage d'en dessous,
Willan, lui était sur le canapé de cuir de Viangrill. Très souple,
très résistant. Un cuir excellent.
Willan regardait un
portrait, accroché au dessus de la cheminé. Lui, Elyo et Karly,
cinq ans plus tôt, fixaient l’objectif. Elyo souriait franchement,
lui, avait un sourire timide, et Karly observait, la main sur
l'épaule de chacun de ses fils, la tête brune d’Elyo, avec un
petit air absent. Karly avait souvent préféré Elyo, songea le
jeune métis. Mais quelle était la cause de cet état d'absentéisme
sur le cliché? Enfant, il s'était souvent posé la question.
Willan médita un
instant. Pourquoi? Tant de questions sans réponses, de gestes
incompréhensibles, et de murmures oubliés. Qui était leur mère?
Aucune photo, aucune parole ne la concernait. Elle était morte, et
c'était tout. Il se souvint, qu'une fois, il avait demandé à son
père s’il avait réellement une maman. Son père s'était alors
figé, et n'avait rien répondu.
Aujourd'hui, Willan se
posai la même question.
Est ce que j'ai vraiment
eu une maman?
La réponse la plus
logique était oui, mais pourquoi Karly ne leur en avait jamais
parlé? Était-il si triste de la mort de sa femme qu'il refusait
maintenant d'en parler, de les rassurer?
Il ne me rassure plus,
maintenant, avec l'Heimer.
Willan ferma les yeux.
Elyo pensait il à cela aussi ? Sûrement. Il les rouvrit et
laissa son regard errer dans la grande pièce poussiéreuse. Il
remarqua soudain que la bordure de nombreux cadres photo, la reliure
de certain livres, et que le tapis a ses pieds, étaient bleus. Des
yeux azur le transpercèrent, et Willan se plia en deux. Les yeux
rivés sur le sol, il entendit les mots d'Elyo résonner dans son
crane : « Willan... tu es amoureux. »
Il se passa la main dans
ses longs cheveux, les boucles ébène lui glissèrent entre les
doigts. Il n'arrêtait pas de penser à elle. Il ne pouvait pas être
amoureux, il ne la désirait pas.
Il n'arrêtait pas de
penser à elle.
- Elle m'obsède, murmura d’il dans un souffle. Elle m'obsède vraiment.
- Premier signe de folie amoureuse, mon cher petit frère.
Willan releva lentement
la tête, et dévisagea lentement Elyo qui descendait silencieusement
l’escalier, revêtu un peignoir fin et blanc. Elyo s'assit près de
Willan, sur le canapé.
- Qu'est ce que tu connais, en amour, Elyo?
Le silence s'installa. Le
ton de Willan s'était fait dur et froid. C'était la première fois
qu'il parlait ainsi à son frère. Étrangement celui-ci ne réagit
pas.
- Comment ? Comment la définis-tu? La vois-tu ?
Willan baissa lentement
les yeux verts pour observer le sol.
- Je n'arrête pas de penser à elle depuis que l'on s'est rencontré. Dès que je vois du bleu, ses yeux m'apparaissent. Je vois toutes les lignes de son visage. Et je n'arrête pas de rêver de ses mains …
Elyo regarda
tranquillement son frère. Il posa la main sur son épaule.
- Demain, normalement, nous les reverrons.
- Ses yeux sont stupéfiants, envoûtants. Continua Willan, comme s'il n'avait pas entendu son frère. Ils m’ont figé. J'ai cru qu'elle me tuait. C'était très impressionnant comme sensation.
Elyo se rappela du regard
de Fline.
- Elle riait et me parlait, mais je fixais ses yeux, je n'arrivai pas à m'en détacher. Les yeux transparents.
- Fline...
- Quoi ?
- Il … m'a fait le même effet. Il m'a paralysé, et il m'a parlé.
- Pourquoi tu ne me l'a pas dit plus tôt?
- Je te pose la même question.
- Tu es amoureux... de Fline ?!
Elyo, ahuri, regarda
Willan.
- Euh... tu te sens bien ?
- Ben, ... non, pas vraiment, en fait.
Ils rirent doucement puis
fatigués, se couchèrent sur le canapé. Elyo posa la tête sur les
genoux de Willan et ferma les yeux. Il s'endormit.
(...)
Le pouls était normal.
Un bruit de crissement sur du papier se fit entendre. Un scientifique
s’approcha. Il admira encore une fois le fruit de leur travail
acharné; devant lui, dans une espèce de berceau, et dans un
gigantesque cylindre de verre, empli d'un épais liquide vert,
flottait un adolescent nu, en position fœtale. De nombreux tuyaux et
fils et autres électrode était relié au berceau blanc. Seul deux
minuscules câbles étaient reliés aux tempes du garçon. Ses
cheveux ambrés ondulaient autour de son crane. Ses yeux étaient
fermés. Il dormait. Et rêvait. Depuis plus de sept ans.
Il n'était pas encore
terminé. Mais il serait certainement le plus parfait. Ainsi,
reposant dans du karilium de soude trois cent vingt et un, et sous
l'observation permanente et silencieuse de plus de cents hommes, la
survie du spécimen numéro cinq était assurée.
Elyo se réveilla en
sursaut. La sueur lui coulait sur le front. Il s'essuya du dos de la
main et se leva. Il était seul sur le canapé, Willan s'étant
éloigné, certainement réveillé depuis quelques temps déjà. Il
s'étira et entendit un bruit de vaisselle dans la cuisine. Se
dirigea vers cette dernière, il pénétra dans la pièce éclairée
par un soleil jeune et brillant, et rendu joyeux par la luminosité
de cette journée, souhaita aussitôt une bonne journée à son
jumeau. Celui-ci ne répondit pas, les yeux perdus dans le vague.
- Je parie que tu penses à elle. Ricana Elyo, malicieux.
- Tu sais, c'est bizarre, j'ai l'impression qu'on ne se reverra pas.
- En effet, bizarre, mais faux. On y va à midi.
- C'est étrange, de se dire qu’on n’est pas tout seul. Que d'autre ont des dons, aussi.
- Tu sais quoi, ça se trouve, on est une centaine comme ça !
- Ça m’étonnerait.
- Moi aussi.
Vers dix heures, ils
terminaient leurs bagages. Elyo mettaient dans son sac de nombreux
livres, manuscrits et notes. Willan caressait la coquille du
Kalionss, qui depuis la veille avait pris une étrange couleur noir,
faisant ressortir les cercles nacrés.
- Pourquoi est il devenu noir ? Demanda Willan pour l 'énième fois.
- Je ne sais pas, lui rendit Elyo, pour l'énième fois aussi. Peut être qu'il a peur ?
- Une coquille aurait peur ?
- Je parle du bébé !
Vers onze heures, ils
partirent de chez eux, et traversèrent la ville, passant par
Ofyr-Lan. En route, ils croisèrent des Hayrdhann, et nombreux furent
ceux qui s'écartèrent, inquiets, suspicieux, ou étonnés. De temps
à autre, une voix moqueuse s'élevait :
- Vous partez enfin ? Pour de vrai ?
Elyo s'occupait rarement
de ce genre de cas. Par conséquent, les piques continuaient. Mais
quand il s'en occupait...
Cette fois ci, Elyo
calme, se retourna. Son regard farouche s'était dardé à un homme
costaud, qui avait perdu son sourire en voyant le jeune métis
l'affronter directement.
- Oui, nous partons. T'sais quoi? Tu vas pouvoir faire la fête, vu qu'on se casse. C'est cool, hein?
Personne ne lui répondit,
mais tous les témoins échangèrent de longs regards, et certains se
détournèrent lentement, se remettant à marcher, sans oser dire
quoi que ce soit. Elyo reposa son attention sur Willan, et le plus
tranquillement du monde, lui sourit. Willan l'imita, amusé, et
rehaussant la sangle de son sac sur son épaule, se remit à marcher.
La sortie de la ville se
fut calme, presque discrète. Elyo souriait sans arrêt, et il fit
même quelques signes à quelque personne, qui murmurèrent aussitôt
à d'autres. Elyo accéléra le pas et quand il fut devant la porte
de pierre, il ne put s'empêcher de rire de joie.
- Quand je pense qu'on va partir.
Willan avança pour
sortir quand Elyo l'arrêta.
- Tu te rends compte?
Willan sourit.
- Et si je répondais non, pour une fois?
Ils franchirent
l'enceinte de la ville, et avancèrent d'un bon pas, mais silencieux.
Ils marchèrent vers le nord pendant quelques minutes, puis, ils
traversèrent d'épais champs de blés sauvages, leur arrivant
jusqu'à la taille. Elyo était en avant, les yeux fixés sur
l'étendue sombre et verte de la forêt qui se rapprochait à chaque
pas. Elyo courut en avant, et s'arrêta sous l'ombre froide des
premiers arbres. Willan le rejoignit et dans un regard, s'enfoncèrent
dans le royaume mystérieux des racines noueuses et des feuilles
lourdes.
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