Safia avait quinze ans,
et comme ses parents, aidait dans les champs, autour de
Faier-Hayrdhann. Elle marchait d'un pas souple, un bâton dans une
main, et une balle dans l’autre. Aujourd'hui, ses parents lui
avaient permis de jouer toute la journée, et elle avait pris le
chien. Elle se stoppa et tendant son bras vers le ciel, envoya la
balle le plus loin possible. Le chien courut en avant, ventre à
terre, une traînée de poussière le précédant. Elle le vit
disparaître dans le bois et, s'assit pour attendre son retour. Elle
prit une petite fleur, délicatement, caressa les légers pétales.
Elle ferma les yeux, et inspirant, essaya de graver en son cœur,
l'arôme délicat, sauvage de la fleur blanche.
Elle se mit à penser que
si un jour elle se mariait, elle porterait une couronne de fleur
semblables.
Un jappement sonore la
fit sortir de ses rêveries. Elle vit son chien qui aboyait
furieusement, tout en détalant de la forêt. Elle se leva, et prit
le bâton, se prépara:
- Un loup? Murmura t-elle. Il n'y en a pas normalement...
Le chien, tremblant, vint
se réfugier contre ses jambes. Safia plissa les yeux, tentant
d'apercevoir ce qui effrayait le chien, et soudain éclairés par un
rayon du soleil de midi, elle les vit. Son bâton lui échappa des
mains. Ses yeux marron s'ouvrirent, et par un geste instinctif, elle
recula d'un pas. Deux silhouettes noire, en haillons, les lourds
vêtements claquants dans le vent, une tignasse noire les auréolant,
un regard vert émeraudes, cerclés du sang coulant, pénétrant. Le
double regard vert et rouge la fixa, et Safia se sentit transpercée,
étudiée de toute part. Elle gémit et tomba sur les genoux, en les
voyants s'approcher. Ils étaient inqualifiables. Leurs regards
avaient vieillis d'un millénaire, et leurs corps s'étaient
endurcis. Ils se mouvaient telles des ombres dansantes dans la nuit,
et ils semblaient ne plus appartenir a ce monde. Ils passèrent à
coté de la paysanne, qui figée, ne put rien faire. Elle ne se remit
à respirer que quand ils eurent disparus.
Elle se leva, sanglotant,
mais ne sachant pas pourquoi, prit son chien dans les bras et courut
vers la ville. Personne ne la crut quand elle dit qu'ils étaient de
retour. Toutefois, personne, le soir même, personne ne put ignorer
la fumée qui monta en direction du ciel, provenant de leur cheminé.
(...)
Elyo posa des yeux
fatigués sur le vieux lit. À ses yeux, celui-ci revêtait l'image
d'un nid douillet. Avec un oreiller. Il s'écrasa de tout son long
sur le matelas, et la douceur des édredons lui réchauffa le cœur.
Il voulut s'endormir quand un bruit de pas résonna derrière lui.
Willan entrait à son tour dans leur chambre. Elyo se releva et fit
un sourire à son frère. Ils n'avaient pas besoin de se parler, ils
se comprenaient. Elyo se dirigea vers la fenêtre pour fermer les
volets, quand un mouvement plus bas attira son regard; un petit
groupe d'hommes le fixait. Elyo ouvrit la fenêtre, et les hommes qui
murmuraient se turent. Un seul, un gros brun demanda:
- Eyh, Spirtyan... que fais-tu là?
Elyo lut de
l'appréhension et de la peur dans le regard des hommes. Mais le gros
brun, lui, seul, le mépris brillait dans son regard. Il dérida le
coin de sa bouche en étirant ses lèvres dans un sourire qu'il
voulut moqueur, celui-ci ayant un succès relatif.
- Je suis à ma fenêtre, en train de te parler. Cela te dérange?
La voix était blessante
et orgueilleuse. Un ton supérieur qui convenait parfaitement avec la
colère de son regard.
L'homme comprit qu'il
n'avait plus affaire au petit morveux qui six ans plus tôt,
l'avait... castré. Elyo savait lui aussi à qui il s'adressait. Il
eut aussitôt un horrible rictus a cette pensée, et siffla dans le
noir:
- Dis, tu en as récupéré des nouvelles, j'espère?
Le gros, pétrifié,
resta muet, outré. Il le détestait, oui, il détestait ce gamin. Il
fit alors une chose qu'il n'aurait pas dut faire: il sortit un
revolver de sa poche, et le pointa sur Elyo, qui le regardait,
quelques mètres plus haut, un sourire terrible sur la face. Les
hommes, horrifiés, s'écartèrent;
- Kliff, fais pas ça, il en vaut pas la peine!
- Arrête, range ce flingue, Kliff, fait pas l'idiot!
- Fais pas ça!
- On n’était pas venu pour ça !
Kliff, goguenard, ne
baissa pas son arme. De toute façon, ce …sale rat le méritait.
Il n'était qu'un voleur. Un monstre, une erreur de la nature. Si
lui, Kliff, débarrassait de la ville cette vermine, le monde ne s'en
porterais que mieux. Il ferma les yeux, et appuya sur la détente.
Les hommes se jetèrent sur lui, mais c'était trop tard. Le silence
s'installa, et Kliff rouvrit les yeux vers la fenêtre. Il n'eut pas
le temps d'apprécier son crime; un uppercut droit l'assomma. Les
hommes stupéfaits ne purent que rester ébahis devant Elyo qui
regardait avec mépris le corps inerte de Kliff s'affaisser
lourdement sur le sol. Puis Elyo, comme si rien ne venait de se
passer, se détourna et rentra chez lui. Avant de disparaître sur le
seuil de chez lui, lança un minuscule objet aux pieds du petit
groupe. Un type se baissa et le ramassa.
- Vous n'oublierez pas de la lui rendre, je ne collectionne pas les balles de revolver...
Puis, il referma la porte
derrière lui.
(...)
Elyo posa son dos contre
le panneau en bois de la porte. Il attendit que le silence s'installe
de nouveau derrière le fin panneau qui le séparait au monde
extérieur, puis que son cœur se remette à battre selon un rythme
naturel. Puis, il se dirigea vers l'escalier qui permettait d'accéder
à l'étage supérieur, et rentra de nouveau dans la chambre. Willan,
assis sur le rebord de la fenêtre, regardait la lune naissante.
- Pour eux, nous devions être morts.
- Oui, c'était un soulagement.
- Pourquoi nous craignent t-ils tellement...? Nous ne les avons jamais attaqués …
Willan pris ses genoux
entre ses bras.
- Je pense qu'ils ont peur de nous parce qu'ils avaient peur de lui.
Le visage de Karly flotta
un instant devant leurs yeux. Mais, tous deux le chassèrent
immédiatement, ils ne voulaient pas y penser.
Elyo ôta la cape noire
et la posa sur une chaise.
- Ça ne fait que six mois qu'on est parti, mais ça fait bizarre de revenir.
Willan changea de sujet,
imperturbable:
- Et si tu me parlais plutôt de comment tu as eu recours à ton don ?
Elyo grinça des dents,
puis s'expliqua:
- De toute façons, ils auraient fini par le savoir, j'ai raccourci la durée, c'est tout.
- La durée de quoi?
Elyo sourit:
- Du temps où ils continueront à nous prendre pour des petits êtres sans défense...
- Idiot, tu aurais pu mourir.
La lune, pleine et ronde,
éclairait maintenant Faier-Hayrdhann d'un halo blanc, aussi lumineux
qu'en plein jour, du moins, semblable... Willan soupira de nouveau.
Il se dirigea vers la
porte, jeta un regard en arrière, et disparut dans les ténèbres du
couloir. Sa voix s'éleva en direction des escaliers.
- Heureusement que ça marche quand on est en danger de mort. C'est la seconde fois pour toi.
Elyo s'étira, puis se
leva de la chaise et se dirigea vers la salle de bain, à l'étage.
Il ôta les habits noirs
et les jeta dans une vielle corbeille qui traînait là. Nu, il
s'approcha d'une vielle glace poussiéreuse. Son reflet lui renvoya
une image d'un adolescent dont les muscles ont été harmonieusement
travaillés, sa silhouette était svelte et souple, ses bras
désormais capable de se défendre, ou de se battre. Sa carrure avait
ainsi changé, lui donnant un air plus … adulte, avec encore des
traces irréfutables de l'enfant.
Elyo regarda sa main. Il
la referma d'un geste énergique. Il regarda de nouveau son reflet.
Désormais, ses cheveux lui arrivaient au début du dos, juste en
dessous des omoplates. Il rentra dans la cabine de douche, et avec
d'infinies précautions, tourna le robinet d'eau chaude. L'eau gicla
sur lui, et il ne put s'empêcher un petit cri quand la chaleur lui
brûla, rapidement mais légèrement, la peau. Puis, la douceur de
retrouver un vieux repère l'inonda, et il laissa couler abondamment
l'eau sur son corps, si différent d'autrefois...
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