vendredi 8 février 2013

30. Traversée du lac en caravanes, prédictions de gitane.

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Cette rescousse qui s'était terminée en horreur avait jeté un grand froid sur le petit groupe. Bleue marchait à l'avant, Fline sur son épaule droite, et les deux Spyrtian marchaient à l'arrière.
Elyo jurait mentalement. Il ne comprenait toujours pas le geste de ce stupide vieillard. La main douce de Willan se posa sur sa joue, et il se calma.
  • N'en parlons plus, d'accord?
Elyo lui sourit, et releva la tête. Le ciel était désormais d'un gris métallique hypnotisant. Il se perdit une seconde dans sa contemplation, puis la douleur de la sangle du sac lui striant l'épaule le rappela à la réalité, et il se figea.
  • Faisons une pause, ordonna t'il.
Bleue s'arrêta, et revint vers eux en quelque pas. Elle posa son lourd sac à ses pieds. Ils avaient quittés la route principale, et s'étaient engagés dans un sentier qui traversait un champ défriché. Willan s'assit par terre et leva la tête vers le ciel. Il le contempla quelque seconde, puis marmonna joyeusement :
  • Je crois qu'il va pleuvoir!
Comme pour confirmer ses dires, une goutte s'écrasa sur son front. Il s'ébroua comme un chien, tandis que Solémio regardait son maitre, ne comprenant pas ce nouveau jeu.
Elyo mit sa capuche sur sa tête et fixa la distance qui les séparait de la rive du lac pendant plusieurs minutes, ces dernières nécessaires à ce qu'ils récupèrent tous.
  • Une heure à peine, pensa-t-il à voix haute. On continue jusqu'au lac?
Bleue acquiesça, et Fline reprit sa forme humaine dans un tourbillon de plume, qui restèrent au sol. Elyo darda son regard vert sur les yeux de cristal, lui parlant mentalement.
« Pourquoi restent-elles par terre? »
« Je sais pas. Mais je trouve ça drôle, on dirait qu'un oiseau s'est battu »
« C'est vrai... on pourrait croire que c'est un vrai oiseau qui était là. »
« Beaucoup de gens croient ça, quand ils voient des plumes par terre. »
Elyo cessa la conversation en détournant les yeux. L'inverse débutait, et faisait coller ses cheveux bruns sur ses joues. Il se remit debout, pris son sac, ramassa un bâton par terre et se mit en marche.

(...)

« Comment traverser? »
C'était la question que se posait les quatre. Bleue jura (ce qui choqua énormément Willan), quand soudain, un hennissement se fit entendre au loin. Ils se retournèrent, et reconnurent dans le brouillard, les caravanes des Tril-Fan. Elyo gémit.
  • Ils vont nous tuer.
  • Pourquoi tu dis-ça? Railla Bleue, en ramenant ses cheveux derrière son épaule, craignant comme lui que les musiciens Tril-Fan ne viennent se venger de la mort du vieil homme sur eux.
  • Calmez-vous, soupira Willan. Attendons les ici.
En moins de cinq minutes, les caravanes étaient à leur hauteur. Elles se stoppèrent devant eux. Un homme au teint olivâtre et aux habits colorés se planta devant eux, dominant de sa puissante carrure les quatre adolescents.
  • Bonsoir.
Elyo sourit timidement. La voix de l'homme n'était ni amicale, ni douce.
  • Je suis étonné de voir des gamins en pleine Ful-Lan.
Ful-Lan signifiait "pays sauvage", là où les landes bordaient les villes, dans une absence totale de civilisation. Les adolescents ignorèrent le ton sévère de l'individu et se contentèrent de ne pas répondre à ce qui ressemblait fortement à une provocation. L'homme ricana, et Bleue le fixa de ses yeux bleus.
  • Nous rendons en Ful-Reiche Stadt.
L'homme croisa les bras et les enveloppa d'un regard sévère.
  • Vous avez notre reconnaissance pour avoir fait fuir ces lascars.
Il les jugea du regard.
  • Comment allez vous traversez?
Elyo se mordit la lèvre, décidant de tenter sa chance en lui demandant:
  • Et vous, ou allez vous?
L'homme tourna lentement sa tête vers lui. Les gouttes de pluie glissant de ses cheveux noirs sur son visage, s'accrochant à ses cils, ébouriffants ses épais sourcils, le rendant plus terrifiant encore.
  • A Reiche Stadt.


Elyo n'était jamais monté dans une caravane : une ambiance chaleureuse, mais étrangère, était présente dans chacune des roulottes. Il y avait cinq femmes, quatre hommes, et trois enfants, dont deux bébés. Chaque familles vivaient dans sa caravane, mais une union les réunissait, puissante.
Les musiciens étaient des nomades, qui vivaient des spectacles qu'ils donnaient, lors de fête, ou de festivals. L'homme qui les avait effrayés se nommait Tullio. Il avait une femme superbe qui se nommait Esméralda, et avait une petite fille, Lia, de quelque mois à peine. Tullio, était apparemment le chef de ces nomades, et l'homme dont le père s'était suicidé, était son cousin. Ce dernier se nommait Pablo, et le petit garçon se nommait Josef. Le petit Josef semblait déterminé à les considérer comme responsables de la mort de son grand père, et refusa de leur adresser la parole quand il les reconnut. Il semblait être un tout petit peu plus jeune que Fline.
Tullio jouait du jambé, Esméralda du tambourin a clochette. Josef jouait d'une flute à deux becs, son père, Pablo, d'une mandarine. L'homme restant était un jeune adulte, Miguel, plus vieux que les quatre autres, il semblait avoir tous justes vingt ans. Sa fiancée, Guénaelia, avait elle aussi un bébé, un petit garçon, Tommi. Les deux dernières femmes se nommaient Hélie, une vielle femme droite et fière, aux longs cheveux gris, et une aveugle, d'une trentaine d'année, Luna.
Cette femme mystérieuse ne parlait jamais. Elle était toujours assise, a fixé le mur de ses yeux bleus pâle. Ils semblaient tous heureux. Tullio, en réalité, était un homme sympathique.
  • Et pourquoi voulez vous allez à Reiche Stadt?
Elyo répondît en premier.
  • Nous devons voir quelqu'un...
Tullio le fixa sévèrement, mais n'insista pas.
  • Eyh, les petits gars, je vous fais traverser, mais vous travaillez en compensation, compris?
Les caravanes longeaient le lac.
  • Allez aider Hélie à préparer le repas, nous serons nombreux a table, ce soir.
La vielle femme sèche les accueillit avec un sourire déstabilisant, puis, leur fourra des pommes de terre dans les bras.
  • Et épluchez moi cela rapidement!
Et elle alla se coucher au fond de la caravane. Elyo, Bleue, Fline et Willan était autour de la caisse de bois qui servait de table. Ils commencèrent à éplucher.
  • A l'orphelinat, on devait faire ça tous les jours, avec Fline. Disons que nous avons de l'expérience en la matière, hein Fline?
Le petit garçon sourit.
  • Et bien nous, au début c'était Karly qui nous faisait les repas. Puis on a dut se débrouiller.
Bleue releva la tête vers Elyo, qui souriait, le regard vide fixé sur sa pomme de terre.
  • Oui, on a dut se débrouiller...
Bleue baissa les yeux.
Malgré tout ce temps passé ensemble, ou ils avaient ris, pleurés, soufflèrent... les deux garçons restaient inaccessibles. Il n'y avait aucun secret. Tout avait été dit durant le voyage. Chacun connaissait l'histoire de l'autre, mais...
Ils offraient un masque chaleureux, mais au fonds, ils étaient froids, malheureux... Willan ne vivait que pour Elyo, et le cœur d'Elyo ne battait que pour son jeune frère.
Inaccessibles...

Quand les pommes de terre furent plongées dans l'eau, et qu’Hélie quitta la caravane pour aller s'occuper d'un âne qui se serait blessé, Elyo remarqua que Luna, la mystérieuse aveugle, était assise dans un coin de la caravane. Et elle les fixait.
Il hésita, puis silencieusement, s'approcha d'elle.
  • Bonsoir, murmura-t-il.
Elle ne répondit pas. Il se détourna lentement, quand une voix s'éleva.
  • Toi... râla t'elle, d'une voix terriblement puissante malgré sa frêle carrure. Toi... répéta t'elle.
Les adolescents se figèrent et tous regardèrent dans la direction de la femme qui se levait, en tremblant.
Elyo inspira.
  • Quoi? Demanda-t-il, curieux de savoir.
Elle râla une autre fois, puis avec une étonnante gestuelle, lui agrippa le bras d'une poigne fragile.
Elle se pencha à son oreille.
  • Les guerriers de l'ombre attaquerons par derrière la montagne. Cheveux-Blanc les verra en premier. Méfies toi du cœur... N’oublie jamais l'enfant que tu étais.
Elle recula doucement, comme pour l'observer. Puis elle gémit doucement et retourna s'asseoir.


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