Cette rescousse qui
s'était terminée en horreur avait jeté un grand froid sur le petit
groupe. Bleue marchait à l'avant, Fline sur son épaule droite, et
les deux Spyrtian marchaient à l'arrière.
Elyo jurait mentalement.
Il ne comprenait toujours pas le geste de ce stupide vieillard. La
main douce de Willan se posa sur sa joue, et il se calma.
- N'en parlons plus, d'accord?
Elyo lui sourit, et
releva la tête. Le ciel était désormais d'un gris métallique
hypnotisant. Il se perdit une seconde dans sa contemplation, puis la
douleur de la sangle du sac lui striant l'épaule le rappela à la
réalité, et il se figea.
- Faisons une pause, ordonna t'il.
Bleue s'arrêta, et
revint vers eux en quelque pas. Elle posa son lourd sac à ses pieds.
Ils avaient quittés la route principale, et s'étaient engagés dans
un sentier qui traversait un champ défriché. Willan s'assit par
terre et leva la tête vers le ciel. Il le contempla quelque seconde,
puis marmonna joyeusement :
- Je crois qu'il va pleuvoir!
Comme pour confirmer ses
dires, une goutte s'écrasa sur son front. Il s'ébroua comme un
chien, tandis que Solémio regardait son maitre, ne comprenant pas ce
nouveau jeu.
Elyo mit sa capuche sur
sa tête et fixa la distance qui les séparait de la rive du lac
pendant plusieurs minutes, ces dernières nécessaires à ce qu'ils
récupèrent tous.
- Une heure à peine, pensa-t-il à voix haute. On continue jusqu'au lac?
Bleue acquiesça, et
Fline reprit sa forme humaine dans un tourbillon de plume, qui
restèrent au sol. Elyo darda son regard vert sur les yeux de
cristal, lui parlant mentalement.
« Pourquoi
restent-elles par terre? »
« Je sais pas. Mais
je trouve ça drôle, on dirait qu'un oiseau s'est battu »
« C'est vrai... on
pourrait croire que c'est un vrai oiseau qui était là. »
« Beaucoup de gens
croient ça, quand ils voient des plumes par terre. »
Elyo cessa la
conversation en détournant les yeux. L'inverse débutait, et faisait
coller ses cheveux bruns sur ses joues. Il se remit debout, pris son
sac, ramassa un bâton par terre et se mit en marche.
(...)
« Comment
traverser? »
C'était la question que
se posait les quatre. Bleue jura (ce qui choqua énormément Willan),
quand soudain, un hennissement se fit entendre au loin. Ils se
retournèrent, et reconnurent dans le brouillard, les caravanes des
Tril-Fan. Elyo gémit.
- Ils vont nous tuer.
- Pourquoi tu dis-ça? Railla Bleue, en ramenant ses cheveux derrière son épaule, craignant comme lui que les musiciens Tril-Fan ne viennent se venger de la mort du vieil homme sur eux.
- Calmez-vous, soupira Willan. Attendons les ici.
En moins de cinq minutes,
les caravanes étaient à leur hauteur. Elles se stoppèrent devant
eux. Un homme au teint olivâtre et aux habits colorés se planta
devant eux, dominant de sa puissante carrure les quatre adolescents.
- Bonsoir.
Elyo sourit timidement.
La voix de l'homme n'était ni amicale, ni douce.
- Je suis étonné de voir des gamins en pleine Ful-Lan.
Ful-Lan signifiait "pays
sauvage", là où les landes bordaient les villes, dans une
absence totale de civilisation. Les adolescents ignorèrent le ton
sévère de l'individu et se contentèrent de ne pas répondre à ce
qui ressemblait fortement à une provocation. L'homme ricana, et
Bleue le fixa de ses yeux bleus.
- Nous rendons en Ful-Reiche Stadt.
L'homme croisa les bras
et les enveloppa d'un regard sévère.
- Vous avez notre reconnaissance pour avoir fait fuir ces lascars.
Il les jugea du regard.
- Comment allez vous traversez?
Elyo se mordit la lèvre,
décidant de tenter sa chance en lui demandant:
- Et vous, ou allez vous?
L'homme tourna lentement
sa tête vers lui. Les gouttes de pluie glissant de ses cheveux noirs
sur son visage, s'accrochant à ses cils, ébouriffants ses épais
sourcils, le rendant plus terrifiant encore.
- A Reiche Stadt.
Elyo n'était jamais
monté dans une caravane : une ambiance chaleureuse, mais étrangère,
était présente dans chacune des roulottes. Il y avait cinq femmes,
quatre hommes, et trois enfants, dont deux bébés. Chaque familles
vivaient dans sa caravane, mais une union les réunissait, puissante.
Les musiciens étaient
des nomades, qui vivaient des spectacles qu'ils donnaient, lors de
fête, ou de festivals. L'homme qui les avait effrayés se nommait
Tullio. Il avait une femme superbe qui se nommait Esméralda, et
avait une petite fille, Lia, de quelque mois à peine. Tullio, était
apparemment le chef de ces nomades, et l'homme dont le père s'était
suicidé, était son cousin. Ce dernier se nommait Pablo, et le petit
garçon se nommait Josef. Le petit Josef semblait déterminé à les
considérer comme responsables de la mort de son grand père, et
refusa de leur adresser la parole quand il les reconnut. Il semblait
être un tout petit peu plus jeune que Fline.
Tullio jouait du jambé,
Esméralda du tambourin a clochette. Josef jouait d'une flute à deux
becs, son père, Pablo, d'une mandarine. L'homme restant était un
jeune adulte, Miguel, plus vieux que les quatre autres, il semblait
avoir tous justes vingt ans. Sa fiancée, Guénaelia, avait elle
aussi un bébé, un petit garçon, Tommi. Les deux dernières femmes
se nommaient Hélie, une vielle femme droite et fière, aux longs
cheveux gris, et une aveugle, d'une trentaine d'année, Luna.
Cette femme mystérieuse
ne parlait jamais. Elle était toujours assise, a fixé le mur de ses
yeux bleus pâle. Ils semblaient tous heureux. Tullio, en réalité,
était un homme sympathique.
- Et pourquoi voulez vous allez à Reiche Stadt?
Elyo répondît en
premier.
- Nous devons voir quelqu'un...
Tullio le fixa
sévèrement, mais n'insista pas.
- Eyh, les petits gars, je vous fais traverser, mais vous travaillez en compensation, compris?
Les caravanes longeaient
le lac.
- Allez aider Hélie à préparer le repas, nous serons nombreux a table, ce soir.
La vielle femme sèche
les accueillit avec un sourire déstabilisant, puis, leur fourra des
pommes de terre dans les bras.
- Et épluchez moi cela rapidement!
Et elle alla se coucher
au fond de la caravane. Elyo, Bleue, Fline et Willan était autour de
la caisse de bois qui servait de table. Ils commencèrent à
éplucher.
- A l'orphelinat, on devait faire ça tous les jours, avec Fline. Disons que nous avons de l'expérience en la matière, hein Fline?
Le petit garçon sourit.
- Et bien nous, au début c'était Karly qui nous faisait les repas. Puis on a dut se débrouiller.
Bleue releva la tête
vers Elyo, qui souriait, le regard vide fixé sur sa pomme de terre.
- Oui, on a dut se débrouiller...
Bleue baissa les yeux.
Malgré tout ce temps
passé ensemble, ou ils avaient ris, pleurés, soufflèrent... les
deux garçons restaient inaccessibles. Il n'y avait aucun secret.
Tout avait été dit durant le voyage. Chacun connaissait l'histoire
de l'autre, mais...
Ils offraient un masque
chaleureux, mais au fonds, ils étaient froids, malheureux... Willan
ne vivait que pour Elyo, et le cœur d'Elyo ne battait que pour son
jeune frère.
Inaccessibles...
Quand les pommes de terre
furent plongées dans l'eau, et qu’Hélie quitta la caravane pour
aller s'occuper d'un âne qui se serait blessé, Elyo remarqua que
Luna, la mystérieuse aveugle, était assise dans un coin de la
caravane. Et elle les fixait.
Il hésita, puis
silencieusement, s'approcha d'elle.
- Bonsoir, murmura-t-il.
Elle ne répondit pas. Il
se détourna lentement, quand une voix s'éleva.
- Toi... râla t'elle, d'une voix terriblement puissante malgré sa frêle carrure. Toi... répéta t'elle.
Les adolescents se
figèrent et tous regardèrent dans la direction de la femme qui se
levait, en tremblant.
Elyo inspira.
- Quoi? Demanda-t-il, curieux de savoir.
Elle râla une autre
fois, puis avec une étonnante gestuelle, lui agrippa le bras d'une
poigne fragile.
Elle se pencha à son
oreille.
- Les guerriers de l'ombre attaquerons par derrière la montagne. Cheveux-Blanc les verra en premier. Méfies toi du cœur... N’oublie jamais l'enfant que tu étais.
Elle recula doucement,
comme pour l'observer. Puis elle gémit doucement et retourna
s'asseoir.
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