vendredi 8 février 2013

17. Eclosion de l'oeuf, et percer l'ulcère.



Elyo scrutait les arbres, il n'entendait aucun bruit, mais ils se rapprochaient toutefois du lieu de rendez-vous. La crainte lui serrait maintenant le ventre et il ne pourrait affronter le regard déçu de son frère. Il continua à avancer, et enfin, déboucha sur la clairière... vide.
Le gémissement de Willan fit trembler Elyo, qui s'approcha de l'arbre qu'un jour, Fline avait fait apparaître.
Les feuilles, mortes, pendaient lamentablement des branches sèches et cassantes. L'arbre semblait mort. Elyo soupira. Il attendrait jusqu'à la nuit. Puis, il partirait lui même à la recherche de Bleue et de Fline.
Willan dut lire ses pensées, car il sourit et s'assit près de lui. Il sortit l'œuf du sac et se mit à l'observer, quand soudain ou bout de quelques minutes, un crissement se fit sentir sous ses doigts. Lui et Elyo sursautèrent, et ébahis, virent des lézardes apparaître sur la coquille.
  • Non... murmura Elyo, stupéfait.
  • Il éclot, s'écria Willan d'une voix aigu, et je n'ai pas pris de lait !
  • Hein ?
  • Il lui faut du lait ! Impératif de la naissance des Kalionss!
  • Mer... mince !
Il ne put en dire d'avantage, car un morceau de deux centimètre d'épaisseur s'envola et retomba sur le sol. Elyo et Willan se turent, et un silence s'abattit sur la forêt. Puis, doucement, un tout petit bruit répétitif, discret, comme des petits coups sourds se firent entendre. Puis plus rien.
  • C'est, c'est...
Clac!
Le cri de surprise de Willan étouffa celui d'Elyo qui se retrouva sur le sol, déséquilibré par le mouvement de son frère. Il se releva, couvert de poussière, la surprise et l'émotion lui serrèrent le cœur, et il ne put qu'admirer l'espèce de chaton doré et brun qui miaulait faiblement dans les bras d'un Willan hagard, parmi les éclats d'œuf visqueux.
Celui-ci releva la tête et hurla, sans regarder Elyo:
  • Bleue ! Il me faut du lait ! Tout de suite !
Elyo sursauta de frayeur et ne put qu'apercevoir la jeune fille qui jetait son sac au sol et bondissait en arrière, courant vers Faier-Hayrdhann, un étrange oiseau blanc aux yeux transparents derrière elle. Fline.
  • Depuis quand était-là ?
  • Elle vient d’arriver!
  • Je l'accompagne ?
  • Magne !
Elyo bondit sur les traces de Bleue et disparaissant dans l'ombre, laissa derrière lui un Willan angoissé.
Bleue courait vite. Ses longues jambes fines et musclées lui donnaient de bonnes foulées, légères, qui lui offraient une vitesse considérable. Fline, transformé en oiseau, battait à tire d'aile, pour rester à sa hauteur et conserver l'allure. Elle s'engouffra dans les champs de blés, et pensa un instant au regard rempli d'angoisse et d'espoir que lui avait jeté Willan, à la seconde où il l'avait vu.
  • Bleuuuuuuuuuuuuuee !!!!!!
Le hurlement l'arrêta net. Elle se retourna et vit un des jumeaux sortir de la forêt. Elyo ou Willan ? Impossible de le savoir, tellement leur ressemblance était frappante.
  • Magne-toi, je te montre le chemin!
Elle supposa que Willan ne lui aurait jamais parlé de cette manière et considéra qu’il s’agissait d’Elyo.
Elle se remit à courir, et quand Elyo la dépassa et lui adressa un sourire, elle sentit qu'elle pouvait l'apprécier, ce garçon. Il n'était pas comme son frère, mais il était attachant. Fline la dépassa aussi et vint se poser sur l'épaule d'Elyo qui n'en arrêta pas sa course.
  • Tu … sais … pourquoi... lait ? Parvint à prononcer Elyo, toujours en courant.
  • Sinon le bébé meurt! Hurla Bleue.
Elyo ralentit, et inspira, puis il demanda:
  • Je suis vraiment heureux de vous voir.
Elle s'arrêta.
  • J’ai fait une promesse, j’ai voulu la tenir.
Et ils se remirent à courir.
Fline enfonça ses griffes dans l'épaule d'Elyo, mais ne lui fit pas mal. Ce garçon, Elyo, Fline l'aimait beaucoup. C'était la seule personne avec qui il pouvait flinoser. Fline ne le disait pas, ne cherchant jamais à passer pour une victime, mais son absence de voix lui causait une douleur profonde, une souffrance que rien n’altérait vraiment, en dépit du moyen inventé par Bleue pour qu’ils puissent communiquer tous les deux. Aussi, le fait qu’il se découvre le pouvoir parler aussi librement avec Elyo, sans avoir besoin de passer par l’utilisation de ses doigts, mais qu’il puisse user de mots écrits le ravissait.
Quand l'épaisse muraille de Faier-Hayrdhann fut en vue, Elyo fit une halte de quelques instants, et après avoir repris son souffle, se remit à courir.
Bleue inspirait, expirait, en fonction de ses foulées. Elle ralentit l’allure, et hors d'haleine, les joues rouges, franchit l'épaisse porte de pierre. Elyo passa devant elle.
  • Suis-moi.
Elle remonta la grand’ route, et tout en marchant derrière Elyo, elle observa la ville. Des escaliers partout, qui permettaient d'accéder apparemment à n’importe quel endroit dans la ville, de la pierre, des tours, des boutiques, des visages bronzés par le soleil, des chants marins, des bateaux aux hautes voiles déployées dans un vent qui se levait doucement, et l’on entendait les cris des enfants qui couraient en riant. La paix semblait présente partout, et cette atmosphère. Bleue regarda en souriant devant elle et remarqua qu'Elyo s'était arrêté. En face d'eux, des hommes leurs barraient le passage. Elyo était silencieux, et Bleue admira son calme et son air insolent malgré les montagnes de biceps et de triceps devant lui, qui se dressaient de manière belligérante. Bleue leur trouva l’air détestable.
  • Pardon, dit-il.
  • Dégage-toi même, c'est toi qui dois t'écarter.
  • T'es déjà de retour, Spirtyan ?
  • Pardon. Répéta Elyo, toujours aussi calme.
  • T'as entendu, idiot ?!
  • Pardon, abrutis ! Hurla Bleue.
Le silence de stupéfaction permit à Elyo d'attraper la main de Bleu et de foncer entre les
Malabars, qui n'en revenaient pas. Bleue rougissant, elle dégagea sa main quand ils furent assez loin des hommes.
  • C'est toujours comme ça ? demanda-t-elle en souriant, gênée.
  • Des fois, c'est pire. Marmonna Elyo d’un ton neutre, en continuant de marcher.
Ils prirent un escalier et montèrent sur Ofyr-Lan. Elyo reprit la main de Bleue et l'aida à monter sur un échafaudage de fer.
  • Tu es sur que ce n'est pas un peu dangereux? demanda Bleue, en regardant brièvement la route pavée en dessous d'eux, trente mètre plus bas.
Elyo sourit et ne résista pas.
  • Bleue, il n'y a que les adultes qui ont peur de faire. Et ils pensent que c'est dangereux par ce qu'ils ont peur. Es tu une adulte? Le réprimanda Elyo.
Ne comprenant pas le sourire d’Elyo, Bleue le questionna directement.
  • Tu as dit et m'a fait dire une phrase, au même endroit, que moi et Willan avions échangées il y a environ six ans de cela. Exactement les mêmes phrases.
Il se mit courir, ignorant le vide qui l’appelait, en dessous, timidement imité par une Bleue plutôt effrayée de la hauteur.
Au bout de quelques minutes, ils étaient de nouveau en bas, de retour sur le sol de la ville, et remontaient la route vers une minuscule colline, seul relief naturel de Faier-Hayrdhann. La maison des Spirtyan se trouvait dessus.
Bleue accéléra l'allure et franchit le portail noir en fer qui menait jusqu'au seuil. Elyo sourit et poussa la porte de bois. Bleue cligna des yeux pour s'habituer et elle resta stupéfaite devant la beauté discrète, mais omniprésente des lieux.
  • C'est magnifique … murmura t-elle.
Du bois de rose, sculpté, composait l'escalier brillant. Le plafond, aux nombreuses poutres, des arabesques minérales sur le mur, la cheminée sombre mais accueillante, les rideaux légers, opaques, flottants mystérieusement, le tapis circulaire ou des animaux oubliés et disparus dansaient, volaient, couraient. Elle reconnu un Juan, deux Kalionss, quelques Manilles, des Virmudans et autres. Fline roucoula. Elyo jaillit d'une pièce d'une blancheur éclatante, un sac entier emplit de bouteilles blanches. Il ne fit pas attention à Bleue qui s'émerveillait aux moindres détails.
  • Fline, tu peux prendre d’autres formes ?
« Oui. »
  • Alors prends celle d'un Aquila !
Dans un gigantesque éclair blanc, des ailes de plusieurs mètres s'étendirent, un cou puissant apparut, un bec acéré déchira l'air et des yeux foudroyant vrillèrent l'espace. Un gigantesque Aquila couleur blanc lys apparut devant le garçon métis.
Elyo en resta bouche bée. Il se secoua et tendit le sac.
  • Tu iras plus vite que nous en volant. Si tu es fatigué, cours.
Les serres gigantesque happèrent les lanières du sac, et frôlèrent le poignet palpitant d’Elyo, mais aucune griffures n’apparurent. Fline/Aquila était aussi délicat qu'un chat, si ce n'était plus.
Bleue, tandis que l'Aquila s'envolait haut dans le ciel sous les cris stupéfaits des Hayrdhann, et tandis qu’Elyo fermait la porte a clef, s'écria :
  • Vous êtes super riches !
Elyo la regarda.
  • Euh, non, pas vraiment, du moins je ne crois pas. Pa... Karly n'achetais que le strict nécessaire, et nous n'étions jamais gâtés. Alors non, je ne crois pas du tout.
  • Mais, tu as vu ta maison ?! S'écria Bleue, stupéfaite, elle est digne d'un premier Chancelier, et encore, un prince ne pourrait rêver mieux.
  • Peut être, écoute je ne sais pas, je ne peux pas comparer ma maison a d'autre, parce que, tu vois, je ne suis pas très bien vu, ici. Alors je ne vais pas aller frapper chez quelqu'un et lui dire : « Excusez moi, madame, il faut que je compare mon style architectural au votre pour être sur que je suis bien le plus riche de la ville. »
Bleue rit, puis elle s'excusa.
  • Mais pourquoi es tu mal vu ?
  • Je ne sais pas...il baissa la voix, tu sais, je crois que les habitants sont au courant pour … tu vois ce que je veux dire ?
  • C'est impossible, s'écria Bleue, j'ai mené quelques recherches, et l'Heimer est classé top secret !
  • Comment le sais-tu ? Comment peux-tu en être aussi sûre ?
  • Disons … que j'ai emprunté un livre interdit dans la bibliothèque de ma ville... discrètement.
  • Tu l'as sur toi ? Demanda Elyo.
  • Non... il a disparu le lendemain même … J'ai juste eu le temps d'apprendre un peu sur l'Heimer...
  • Dommage.
  • Elyo?
  • Oui?
  • Tu vas quitter ta ville natale ?
Elyo ne la regarda pas. Il se demanda un instant comment il pouvait discuter avec une fille qu'il ne connaissait pas. Mais il répondit néanmoins.
  • Oui, je laisse mon passé derrière moi, il faut que je voyage, il faut que je …coupe des liens.
  • Elyo, va voir le chef de ta ville.
  • Pour quoi faire?
  • Tu vas laisser ta rancœur envahir cette ville ? Et je pense qu'il a des explications à te fournir.
Il soupira.
  • Et si je n'ai pas envie ?
  • J'irais moi même dire que tu pars.
  • Tout le monde en sera soulagé.
  • Toi aussi.

Au bout de cinq minutes de trajet, Elyo se retrouva devant le bâtiment qui abritait le bureau du maire.
Bleue poussa la porte. Ils avancèrent tout deux dans le hall silencieux, et montèrent quelques escaliers, croisèrent des gens pressés, qui ne leur prêta aucune attention. Enfin, Elyo se retrouva devant la porte noire du bureau du maire. Il eut un instant l'impression de se retrouver devant la porte du laboratoire de Karly. Bleue frappa.

L'homme ne se retourna pas. Elyo vint se placer devant le bureau de bois. Bleue referma la porte, elle resta hors du bureau. Seul face au maire, Elyo inspira.
  • Elyo Spirtyan. Tu viens pour la première et dernière fois ici.
  • Pourquoi ?
  • Tu vas partir, et tu ne reviendras certainement jamais dans cette ville.
L'homme se retourna. Il avait cinquante ans, et un visage encore séduisant. Des cheveux argenté en vagués, étaient ramené sur son crane.
  • Tu te demande pourquoi tous t’ont haï, et craint ?
Elyo resta silencieux
  • Évidemment. Pourquoi venir ici si ce n'est pour poser cette question ? Pourquoi ? Il y a tellement de questions autour des Spirtyan. Je sais tout. Et c'est pourquoi, je suis maire. Je ne dirai pas que je me fiche de cette ville, mais, depuis ta naissance, je t'observe et t'étudie, Elyo Spirtyan.
Et je peux dire que tu été courageux. Cela fait treize ans que l'on te persécute, t'ignore, t'humilie, te blesse.
Mais... tu n'a jamais su pourquoi. N'est ce pas ?
  • Pourquoi tous les habitants de cette ville me détestent ? Hein ?!
Elyo baissa les yeux, soudain enragé. L'homme ne répondit pas tout de suite.
  • Ils avaient peur d'une chose qu'ils ne connaissent même pas. Ils avaient peur de l'Heimer. Et ils avaient peur de vous. Toi, ton frère, et... de ton père.
Elyo serra les poings.
  • Comment connaissent-ils quelque chose que tu ignore ? N'est ce pas ce que tu pense, oh, ne le cache pas, je puis lire la moindre de tes pensées. Je ne t'en parlerai pas, il faut que nous discutions d'autre chose.
  • Il y a six ans, quand vous avez fais la Crise Alpha, Karly Spirtyan est venu me trouver afin de protéger la ville au cas où l'Heimer tomberait entre les mains d'individus sombres et louches.
Mais cette nuit là, Karly a changé. Il est … presque passé dans l'autre camp. Il a tenu et est devenu fou. Mais il a continué les expériences sur son corps et sur les vôtres. Il a aussi dévoilé à tous ce qu'il faisait : il créait des êtres humains différents. J'ai failli le tuer ce jour là. C'était le jour de votre anniversaire, tu t'en rappelle, n'est ce pas.
L'éclair qui envahit l'esprit d'Elyo le paralysa.
Il avait sept ans, Willan riait. La porte s'était ouverte, et ils avait vu un homme blond, portant le corps inertes et ensanglanté de Karly. Il l'avait déposé sur le canapé, et avait dit :
« Fermez les fenêtres et les portes, les garçons, ils arrivent. »
Elyo n'avaient au début pas comprit, mais quand il avait entendus les bouteilles qui étaient jetés contre les murs, les cris, les insultes, il avait cru que son père avait tué quelque un. »
Mais c'était eux. Il s’en souvenait, maintenant.
  • Dites-moi. Qu'est ce que l'Heimer?
  • Elyo, sérieusement, tu crois que je vais répondre à cette question ?
  • Alors répondez à ce qui vous semble nécessaire.

(...)

Bleue soupira. Ils mettraient encore longtemps ?
Elle allait frapper à la porte quand celle ci s’ouvrit.
  • Nous partons. Dit simplement Elyo, le visage sombre.
Elle le suivit en silence, comprenant qu'il s'était passé quelque chose. Elle voulait dire quelque chose, mais rien ne sortit de sa bouche. Ils étaient déjà rendus à la porte principale. Elle franchit la porte et Elyo s’arrêta.
Il se retourna vers elle, un sourire merveilleux sur le visage.
  • Merci de m'avoir amené là bas, Bleue, j'en avais besoin. Je n'ai pas eu la réponse à la question que je souhaitais, mais un rideau du mystère a été levé. Je comprends un peu mieux, tu sais. Depuis que j'ai entendu ce mot, l'Heimer, je suis devenu aveugle. Mais chaque jour, la vue me revient peu à peu.
  • Elyo... tu sais … je… dois dire que c’est cool… car la vue nous revient a tous. Non ?
Ils s’esclaffèrent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire