Elyo scrutait les arbres,
il n'entendait aucun bruit, mais ils se rapprochaient toutefois du
lieu de rendez-vous. La crainte lui serrait maintenant le ventre et
il ne pourrait affronter le regard déçu de son frère. Il continua
à avancer, et enfin, déboucha sur la clairière... vide.
Le gémissement de Willan
fit trembler Elyo, qui s'approcha de l'arbre qu'un jour, Fline avait
fait apparaître.
Les feuilles, mortes,
pendaient lamentablement des branches sèches et cassantes. L'arbre
semblait mort. Elyo soupira. Il attendrait jusqu'à la nuit. Puis, il
partirait lui même à la recherche de Bleue et de Fline.
Willan dut lire ses
pensées, car il sourit et s'assit près de lui. Il sortit l'œuf du
sac et se mit à l'observer, quand soudain ou bout de quelques
minutes, un crissement se fit sentir sous ses doigts. Lui et Elyo
sursautèrent, et ébahis, virent des lézardes apparaître sur la
coquille.
- Non... murmura Elyo, stupéfait.
- Il éclot, s'écria Willan d'une voix aigu, et je n'ai pas pris de lait !
- Hein ?
- Il lui faut du lait ! Impératif de la naissance des Kalionss!
- Mer... mince !
Il ne put en dire
d'avantage, car un morceau de deux centimètre d'épaisseur s'envola
et retomba sur le sol. Elyo et Willan se turent, et un silence
s'abattit sur la forêt. Puis, doucement, un tout petit bruit
répétitif, discret, comme des petits coups sourds se firent
entendre. Puis plus rien.
- C'est, c'est...
Clac!
Le cri de surprise de
Willan étouffa celui d'Elyo qui se retrouva sur le sol, déséquilibré
par le mouvement de son frère. Il se releva, couvert de poussière,
la surprise et l'émotion lui serrèrent le cœur, et il ne put
qu'admirer l'espèce de chaton doré et brun qui miaulait faiblement
dans les bras d'un Willan hagard, parmi les éclats d'œuf visqueux.
Celui-ci releva la tête
et hurla, sans regarder Elyo:
- Bleue ! Il me faut du lait ! Tout de suite !
Elyo sursauta de frayeur
et ne put qu'apercevoir la jeune fille qui jetait son sac au sol et
bondissait en arrière, courant vers Faier-Hayrdhann, un étrange
oiseau blanc aux yeux transparents derrière elle. Fline.
- Depuis quand était-là ?
- Elle vient d’arriver!
- Je l'accompagne ?
- Magne !
Elyo bondit sur les
traces de Bleue et disparaissant dans l'ombre, laissa derrière lui
un Willan angoissé.
Bleue courait vite. Ses
longues jambes fines et musclées lui donnaient de bonnes foulées,
légères, qui lui offraient une vitesse considérable. Fline,
transformé en oiseau, battait à tire d'aile, pour rester à sa
hauteur et conserver l'allure. Elle s'engouffra dans les
champs de blés, et pensa un instant au regard rempli d'angoisse et
d'espoir que lui avait jeté Willan, à la seconde où il l'avait vu.
- Bleuuuuuuuuuuuuuee !!!!!!
Le hurlement l'arrêta
net. Elle se retourna et vit un des jumeaux sortir de la forêt. Elyo
ou Willan ? Impossible de le savoir, tellement leur ressemblance
était frappante.
- Magne-toi, je te montre le chemin!
Elle supposa que Willan
ne lui aurait jamais parlé de cette manière et considéra qu’il
s’agissait d’Elyo.
Elle se remit à courir,
et quand Elyo la dépassa et lui adressa un sourire, elle sentit
qu'elle pouvait l'apprécier, ce garçon. Il n'était pas comme son
frère, mais il était attachant. Fline la dépassa aussi et vint se
poser sur l'épaule d'Elyo qui n'en arrêta pas sa course.
- Tu … sais … pourquoi... lait ? Parvint à prononcer Elyo, toujours en courant.
- Sinon le bébé meurt! Hurla Bleue.
Elyo ralentit, et
inspira, puis il demanda:
- Je suis vraiment heureux de vous voir.
Elle s'arrêta.
- J’ai fait une promesse, j’ai voulu la tenir.
Et ils se remirent à
courir.
Fline enfonça ses
griffes dans l'épaule d'Elyo, mais ne lui fit pas mal. Ce garçon,
Elyo, Fline l'aimait beaucoup. C'était la seule personne avec qui il
pouvait flinoser. Fline ne le disait pas, ne cherchant jamais à
passer pour une victime, mais son absence de voix lui causait une
douleur profonde, une souffrance que rien n’altérait vraiment, en
dépit du moyen inventé par Bleue pour qu’ils puissent communiquer
tous les deux. Aussi, le fait qu’il se découvre le pouvoir parler
aussi librement avec Elyo, sans avoir besoin de passer par
l’utilisation de ses doigts, mais qu’il puisse user de mots
écrits le ravissait.
Quand l'épaisse muraille
de Faier-Hayrdhann fut en vue, Elyo fit une halte de quelques
instants, et après avoir repris son souffle, se remit à courir.
Bleue inspirait,
expirait, en fonction de ses foulées. Elle ralentit l’allure, et
hors d'haleine, les joues rouges, franchit l'épaisse porte de
pierre. Elyo passa devant elle.
- Suis-moi.
Elle remonta la grand’
route, et tout en marchant derrière Elyo, elle observa la ville. Des
escaliers partout, qui permettaient d'accéder apparemment à
n’importe quel endroit dans la ville, de la pierre, des tours, des
boutiques, des visages bronzés par le soleil, des chants marins, des
bateaux aux hautes voiles déployées dans un vent qui se levait
doucement, et l’on entendait les cris des enfants qui couraient en
riant. La paix semblait présente partout, et cette atmosphère.
Bleue regarda en souriant devant elle et remarqua qu'Elyo s'était
arrêté. En face d'eux, des hommes leurs barraient le passage. Elyo
était silencieux, et Bleue admira son calme et son air insolent
malgré les montagnes de biceps et de triceps devant lui, qui se
dressaient de manière belligérante. Bleue leur trouva l’air
détestable.
- Pardon, dit-il.
- Dégage-toi même, c'est toi qui dois t'écarter.
- T'es déjà de retour, Spirtyan ?
- Pardon. Répéta Elyo, toujours aussi calme.
- T'as entendu, idiot ?!
- Pardon, abrutis ! Hurla Bleue.
Le silence de
stupéfaction permit à Elyo d'attraper la main de Bleu et de foncer
entre les
Malabars, qui n'en
revenaient pas. Bleue rougissant, elle dégagea sa main quand ils
furent assez loin des hommes.
- C'est toujours comme ça ? demanda-t-elle en souriant, gênée.
- Des fois, c'est pire. Marmonna Elyo d’un ton neutre, en continuant de marcher.
Ils prirent un escalier
et montèrent sur Ofyr-Lan. Elyo reprit la main de Bleue et l'aida à
monter sur un échafaudage de fer.
- Tu es sur que ce n'est pas un peu dangereux? demanda Bleue, en regardant brièvement la route pavée en dessous d'eux, trente mètre plus bas.
Elyo sourit et ne résista
pas.
- Bleue, il n'y a que les adultes qui ont peur de faire. Et ils pensent que c'est dangereux par ce qu'ils ont peur. Es tu une adulte? Le réprimanda Elyo.
Ne comprenant pas le
sourire d’Elyo, Bleue le questionna directement.
- Tu as dit et m'a fait dire une phrase, au même endroit, que moi et Willan avions échangées il y a environ six ans de cela. Exactement les mêmes phrases.
Il se mit courir,
ignorant le vide qui l’appelait, en dessous, timidement imité par
une Bleue plutôt effrayée de la hauteur.
Au bout de quelques
minutes, ils étaient de nouveau en bas, de retour sur le sol de la
ville, et remontaient la route vers une minuscule colline, seul
relief naturel de Faier-Hayrdhann. La maison des Spirtyan se trouvait
dessus.
Bleue accéléra l'allure
et franchit le portail noir en fer qui menait jusqu'au seuil. Elyo
sourit et poussa la porte de bois. Bleue cligna des yeux pour
s'habituer et elle resta stupéfaite devant la beauté discrète,
mais omniprésente des lieux.
- C'est magnifique … murmura t-elle.
Du bois de rose,
sculpté, composait l'escalier brillant. Le plafond, aux nombreuses
poutres, des arabesques minérales sur le mur, la cheminée sombre
mais accueillante, les rideaux légers, opaques, flottants
mystérieusement, le tapis circulaire ou des animaux oubliés et
disparus dansaient, volaient, couraient. Elle reconnu un Juan, deux
Kalionss, quelques Manilles, des Virmudans et autres. Fline roucoula.
Elyo jaillit d'une pièce d'une blancheur éclatante, un sac entier
emplit de bouteilles blanches. Il ne fit pas attention à Bleue qui
s'émerveillait aux moindres détails.
- Fline, tu peux prendre d’autres formes ?
« Oui. »
- Alors prends celle d'un Aquila !
Dans un gigantesque
éclair blanc, des ailes de plusieurs mètres s'étendirent, un cou
puissant apparut, un bec acéré déchira l'air et des yeux
foudroyant vrillèrent l'espace. Un gigantesque Aquila couleur blanc
lys apparut devant le garçon métis.
Elyo en resta bouche bée.
Il se secoua et tendit le sac.
- Tu iras plus vite que nous en volant. Si tu es fatigué, cours.
Les serres gigantesque
happèrent les lanières du sac, et frôlèrent le poignet palpitant
d’Elyo, mais aucune griffures n’apparurent. Fline/Aquila était
aussi délicat qu'un chat, si ce n'était plus.
Bleue, tandis que
l'Aquila s'envolait haut dans le ciel sous les cris stupéfaits des
Hayrdhann, et tandis qu’Elyo fermait la porte a clef, s'écria :
- Vous êtes super riches !
Elyo la regarda.
- Euh, non, pas vraiment, du moins je ne crois pas. Pa... Karly n'achetais que le strict nécessaire, et nous n'étions jamais gâtés. Alors non, je ne crois pas du tout.
- Mais, tu as vu ta maison ?! S'écria Bleue, stupéfaite, elle est digne d'un premier Chancelier, et encore, un prince ne pourrait rêver mieux.
- Peut être, écoute je ne sais pas, je ne peux pas comparer ma maison a d'autre, parce que, tu vois, je ne suis pas très bien vu, ici. Alors je ne vais pas aller frapper chez quelqu'un et lui dire : « Excusez moi, madame, il faut que je compare mon style architectural au votre pour être sur que je suis bien le plus riche de la ville. »
Bleue rit, puis elle
s'excusa.
- Mais pourquoi es tu mal vu ?
- Je ne sais pas...il baissa la voix, tu sais, je crois que les habitants sont au courant pour … tu vois ce que je veux dire ?
- C'est impossible, s'écria Bleue, j'ai mené quelques recherches, et l'Heimer est classé top secret !
- Comment le sais-tu ? Comment peux-tu en être aussi sûre ?
- Disons … que j'ai emprunté un livre interdit dans la bibliothèque de ma ville... discrètement.
- Tu l'as sur toi ? Demanda Elyo.
- Non... il a disparu le lendemain même … J'ai juste eu le temps d'apprendre un peu sur l'Heimer...
- Dommage.
- Elyo?
- Oui?
- Tu vas quitter ta ville natale ?
Elyo ne la regarda pas.
Il se demanda un instant comment il pouvait discuter avec une fille
qu'il ne connaissait pas. Mais il répondit néanmoins.
- Oui, je laisse mon passé derrière moi, il faut que je voyage, il faut que je …coupe des liens.
- Elyo, va voir le chef de ta ville.
- Pour quoi faire?
- Tu vas laisser ta rancœur envahir cette ville ? Et je pense qu'il a des explications à te fournir.
Il soupira.
- Et si je n'ai pas envie ?
- J'irais moi même dire que tu pars.
- Tout le monde en sera soulagé.
- Toi aussi.
Au bout de cinq minutes
de trajet, Elyo se retrouva devant le bâtiment qui abritait le
bureau du maire.
Bleue poussa la porte.
Ils avancèrent tout deux dans le hall silencieux, et montèrent
quelques escaliers, croisèrent des gens pressés, qui ne leur prêta
aucune attention. Enfin, Elyo se retrouva devant la porte noire du
bureau du maire. Il eut un instant l'impression de se retrouver
devant la porte du laboratoire de Karly. Bleue frappa.
L'homme ne se retourna
pas. Elyo vint se placer devant le bureau de bois. Bleue referma la
porte, elle resta hors du bureau. Seul face au maire, Elyo inspira.
- Elyo Spirtyan. Tu viens pour la première et dernière fois ici.
- Pourquoi ?
- Tu vas partir, et tu ne reviendras certainement jamais dans cette ville.
L'homme se retourna. Il
avait cinquante ans, et un visage encore séduisant. Des cheveux
argenté en vagués, étaient ramené sur son crane.
- Tu te demande pourquoi tous t’ont haï, et craint ?
Elyo resta silencieux
- Évidemment. Pourquoi venir ici si ce n'est pour poser cette question ? Pourquoi ? Il y a tellement de questions autour des Spirtyan. Je sais tout. Et c'est pourquoi, je suis maire. Je ne dirai pas que je me fiche de cette ville, mais, depuis ta naissance, je t'observe et t'étudie, Elyo Spirtyan.
Et je peux dire que tu
été courageux. Cela fait treize ans que l'on te persécute,
t'ignore, t'humilie, te blesse.
Mais... tu n'a jamais su
pourquoi. N'est ce pas ?
- Pourquoi tous les habitants de cette ville me détestent ? Hein ?!
Elyo baissa les yeux,
soudain enragé. L'homme ne répondit pas tout de suite.
- Ils avaient peur d'une chose qu'ils ne connaissent même pas. Ils avaient peur de l'Heimer. Et ils avaient peur de vous. Toi, ton frère, et... de ton père.
Elyo serra les poings.
- Comment connaissent-ils quelque chose que tu ignore ? N'est ce pas ce que tu pense, oh, ne le cache pas, je puis lire la moindre de tes pensées. Je ne t'en parlerai pas, il faut que nous discutions d'autre chose.
- Il y a six ans, quand vous avez fais la Crise Alpha, Karly Spirtyan est venu me trouver afin de protéger la ville au cas où l'Heimer tomberait entre les mains d'individus sombres et louches.
Mais cette nuit là,
Karly a changé. Il est … presque passé dans l'autre camp. Il a
tenu et est devenu fou. Mais il a continué les expériences sur son
corps et sur les vôtres. Il a aussi dévoilé à tous ce qu'il
faisait : il créait des êtres humains différents. J'ai failli le
tuer ce jour là. C'était le jour de votre anniversaire, tu t'en
rappelle, n'est ce pas.
L'éclair qui envahit
l'esprit d'Elyo le paralysa.
Il avait sept ans, Willan
riait. La porte s'était ouverte, et ils avait vu un homme blond,
portant le corps inertes et ensanglanté de Karly. Il l'avait déposé
sur le canapé, et avait dit :
« Fermez les
fenêtres et les portes, les garçons, ils arrivent. »
Elyo n'avaient au début
pas comprit, mais quand il avait entendus les bouteilles qui étaient
jetés contre les murs, les cris, les insultes, il avait cru que son
père avait tué quelque un. »
Mais c'était eux. Il
s’en souvenait, maintenant.
- Dites-moi. Qu'est ce que l'Heimer?
- Elyo, sérieusement, tu crois que je vais répondre à cette question ?
- Alors répondez à ce qui vous semble nécessaire.
(...)
Bleue soupira. Ils
mettraient encore longtemps ?
Elle allait frapper à la
porte quand celle ci s’ouvrit.
- Nous partons. Dit simplement Elyo, le visage sombre.
Elle le suivit en
silence, comprenant qu'il s'était passé quelque chose. Elle voulait
dire quelque chose, mais rien ne sortit de sa bouche. Ils étaient
déjà rendus à la porte principale. Elle franchit la porte et Elyo
s’arrêta.
Il se retourna vers elle,
un sourire merveilleux sur le visage.
- Merci de m'avoir amené là bas, Bleue, j'en avais besoin. Je n'ai pas eu la réponse à la question que je souhaitais, mais un rideau du mystère a été levé. Je comprends un peu mieux, tu sais. Depuis que j'ai entendu ce mot, l'Heimer, je suis devenu aveugle. Mais chaque jour, la vue me revient peu à peu.
- Elyo... tu sais … je… dois dire que c’est cool… car la vue nous revient a tous. Non ?
Ils s’esclaffèrent.
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