Une odeur de poisson frit
titilla les narines de Willan. Il n'ouvrit pas les yeux. Il y avait
un problème.
Son esprit l'informait
que son jumeau dormait; mais l'odeur de friture ne pouvait être
causée que par Elyo faisant de la cuisine. Willan se demanda un
instant si la journée entière n'avait pas été qu'un rêve, qu'il
n'avait jamais tué le Kalionss, qu'il n'avait jamais activé le don.
- On se réveille?
Willan ouvrit
difficilement les yeux, et curieusement ce ne furent pas les rayons
du soleil qui le saluèrent, mais un captivant regard azur, qui
l'observait, le figeant sur le coup. Il réagit pourtant; se jetant
en arrière, et presque aussitôt, son dos lui envoya dans chaque
parcelle de son corps, une flamme de douleur. Il grimaça de
souffrance. Sa tête se reposa sur le sol et il chercha violemment à
reprendre son souffle, se demandant ce qui se passait. Une main
caressa ses cheveux noirs et il frémit à ce contact. Il leva les
yeux et vit une chose extraordinaire. Une fille aux cheveux bleus, au
regard azur, à la fois brûlants et gelés, captivants et envoûtant.
Elle réarrangeait les mèches trempées de sueur de Willan, une
expression sévère sur le visage.
- Arrête de bouger, imbécile! Tu veux te casser le dos ?
Willan la regarda,
stupéfait. Et avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la part
de son esprit dédiée à Elyo s'éveilla. Sa voix cinglante jaillit
:
- Écarte-toi de mon frère !
La fille tourna la tête
vers Elyo, et afficha une mine surprise. Celui-ci, la repoussa, sans
délicatesse et se plaça aux cotés de Willan.
- Tu vas bien?
Un sourire le rassura, et
Elyo put de nouveau respirer. Tant mieux, songea t-il. Il se tourna
alors vers la fille. Celle ci souriait aussi, mais une petite lueur
peinée dans le regard.
Elle devait avoir le même
âge qu'eux, et semblait très intelligente. Elle possédait une
étrange chevelure saphir, coupée en carré, coupé court à
l'arrière, et partait en mèches plus longues à l'avant. Sa peau
blanche faisait ressortir le regard céleste de ses yeux, et ses
mains blanches et fines ressemblaient à celles de princesse. Elle
était habillé d'une longue chemise bleue marine qui lui allait
jusqu’aux hanches, et qui était retenue d'un lacet de cuir noir.
Un pantalon gris moulant, cachait ses genoux, mais ses mollets blancs
étaient dénudés. Elle portait des sandales de cuir.
La jeune fille dévisagea
les deux garçons.
Ils avaient tous deux un
visage fin, sévère, ou la peau, mi sombre, mi halée faisaient
ressortir leur yeux d'un verts foudroyants. Leurs visages pointus,
comme deux chats sauvages et gracieux, étaient encadrés par des
mèches noires onduleuses, leurs cachant la nuque, et une partie du
cou. Leurs muscles se dessinaient gracieusement sur leur bras
souples, dénudés par le port d'un T-shirt noir moulant. Bleue
admira leurs jeunes corps athlétiques.
Ils ressemblaient
vraiment à des chats.
Elyo comprit qu'elle
avait soigné son frère avec les bandages qui était posés a ses
cotés. Il lui marmonna un vague remerciement, pour son geste.
- Qui es-tu ?
La jeune fille fit une
petite révérence.
- Je me nomme Bleue.
- Ce n'est pas très original comme choix.
Bleue tressailli sous
l'insulte, mais afficha un sourire jovial. Elle décida sur le coup
de détester ce garçon.
- Je m'excuse du choix de mes parents, et te supplie d'accepter mon pardon d'être ce que je suis et de m'être imposée à ta vision si merveilleuse et géniale.
Elyo siffla, et baissant
les yeux, s’excusa. Bleue accepta et se tourna vers Willan.
Celui-ci rougit quand son regard croisa celui de la jeune fille, et
il toussota, gêné. Bleue sourit. Ce garçon là était diffèrent
de son frère.
Bleue s'assit et regarda
les deux frères dans les yeux, puis dit:
- Vous êtes étranges.
Elyo répliqua:
- Toi aussi, le monde entier n'est pas fait de filles aux cheveux bleus. Mais les jumeaux, normalement, c'est connu.
- Je ne parlais pas de ça, krinin.
Elyo fronça les
sourcils. Krinin était une insulte modérée, mais injurieuse quand
même, et selon le ton employée, elle prenait tel ou tel degré
d'importance. Là, elle était cassante.
- Vous tuez un Kalionss a vous tout seul, vous vous évanouissez, et vous vous buvez le sang... vous allez bien?
Elyo bondit sur ses
pieds.
- Tu nous as espionnés tout ce temps ?!
Elle ne répondit pas.
Elyo en resta muet,
choqué.
- Bleue? Pardonne mon frère, s'il te plaît.
Elyo se retourna. Willan
se tenait l'épaule, un sourire moqueur sur le visage.
- Tu sais, tu ne devrais toutefois pas t'occuper des affaires personnelles des gens. Ils ont des choses à cacher des fois. Un peu comme toi qui as demandé à ton petit frère de se cacher.
Bleue et Elyo
sursautèrent, surpris. Elyo se retourna et scruta précipitamment
les ombres de la forêt. Il n'apercevait rien. Bleue, au contraire,
baissa les yeux, et se tourna vers les branches noueuses qui se
tendaient vers le ciel. Elle murmura doucement.
- Tu peux sortir, mon oiseau.
Stupéfait, Elyo vit une
ombre remuer, et chuter gracieusement de l'arbre. Puis la forme se
redressa et Elyo observa la petite silhouette s'avancer vers eux. Un
rai de lumière l'éclaira, révélant à tout un visage enfantin.
Bleue ouvrit les bras et
le serra, puis elle se tourna vers les jumeaux.
- Voici mon oiseau; Fline.
- C’est un garçon, non ?
- Tsss.
Elyo et Willan comprirent
que l'enfant, indubitablement, n'était pas humain.
Des yeux transparents.
Ses iris ressemblaient à un cercle de cristal blanc. Sans couleurs,
ni reflet. Juste la transparence. Et un sentiment de malaise
oppressant.
Elyo savait que ses yeux
produisaient la même impression. Il resta figé devant la
ressemblance qui existait entre ce petit et lui. Le garçon tourna
alors la tête vers lui.
Elyo fut foudroyé par
l'absence de sentiment qui se décryptait ordinairement dans les yeux
des gens. Le regard de ce garçon était vide. Pas comme s'il était
idiot, passif, ou mort. Il vous regardait sans que vous ne puissiez
comprendre a quoi il pensait, ou son sentiment. Il ne semblait pas
vouloir les cachés, ils semblaient impossibles a lire, comme si des
yeux humains se trouvaient dans l'incapacité de comprendre le regard
de ce garçon.
Fline le regarda, et
soudain un éclair indéchiffrable illumina son regard néant.
L'éclair fut très
rapide et Elyo capta aussitôt l'expression d'interrogation qui se
lit à peine une seconde dans le regard de Fline. Mais dès qu'il eut
le temps d'y penser, celle ci avait disparue.
Fline referma ses yeux et
tourna le regard vers Willan. Elyo sentit sa poitrine se relâcher,
et respirant de nouveau, il détailla méticuleusement le garçon.
Il devait avoir une
dizaine d’année, onze tout au plus. Il était petit pour son âge,
mais il avait une silhouette mince. Ses mains blanches et fines
sortaient de dessous d'épaisses manches vertes. Ses cheveux noirs et
raides lui arrivaient jusqu'au milieu du dos, retenus par un épais
bandeau vert foncé. Une écharpe noire lui couvrait le cou, les
épaules et le menton. Une bouche fine, un nez court mais droit, une
peau pâle, laiteuse.
Fline dirigea de nouveau
son regard vers Elyo, et de nouveau un malaise gênant emplit
celui-ci.
- Fline aura onze ans bientôt, normalement. C'est mon petit frère de lait, mais je le considère comme mon petit frère de sang. Il ne pourra toutefois pas vous répondre, car il est muet.
Elyo s'approcha
lentement, et Bleue desserra son étreinte sur son frère. Le chat
s'intéressait a l'oiseau, donc. Mais le chat savait il que le loup
l'observait ?
- Comment communiquez-vous alors? Demanda Willan.
- Nous utilisons un langage que nous avons inventé: le Dalish. Nous utilisons nos mains et nos visages pour nous comprendre.
- Tu l'as appelé toute a l'heure, et je ne t'ai pas vu utiliser ton... Dalish.
- Fline est muet, mais pas sourd. Je peux lui poser une question normalement, mais lui me dalieras.
- Pas dalisheras, plutôt? Continua Willan, très intéressé.
- Non, dalieras.
Elyo resta silencieux, il
fixait du regard Fline, qui faisait de même. Elyo savait que Fline
était empli d'un sentiment de doute et de peur face au regard
émeraude. Elyo savait que Fline le comprendrait, pour une raison
inconnue. Il en était persuadé.
«Fline? Pensa-t-il
mentalement. »
Les yeux transparents du
garçon se vrillèrent sur l'œil droit, puis le gauche d'Elyo.
Celui-ci sentit un
picotement derrière la nuque.
« Toi »
Un mot tracé en lettre
immatérielle apparut dans la tête, comme, derrière les yeux
d’Elyo. Il inspira.
« Comment fais-tu?
Tu utilises presque la même chose que Willan. »
« Cryptophasie? »
« Oui, mais lui n’a
pas besoin de prononcer les paroles, ou... de les écrire dans ma
tête. »
« Flinophasie. »
Elyo explosa de rire. Le
garçon aux yeux transparent se troubla et Willan et Bleue se turent.
- Aha ha ha ! Flinophasie ! Hahaha ha ha ! Hi! C'est hilarant !
Les larmes lui montèrent
aux yeux. Willan lui demanda ce qui se passait.
Elyo croisa le regard de
Fline et il se calma aussitôt. Bleue continua d'expliquer a Willan
ce en quoi consistait le Dalish.
- Avec les mains, les doigts, on invente un alphabet et …
Elyo, sérieux, replongea
son regard dans celui de Fline.
« Drôle? »
« Hilarant, mais je
sais pas pourquoi. »
« ... »
« Dis, tu vois mes
pensées, tu les lis? Comme dans les livres? »
«’’Acquiescement''»
« Tu es
télépathe? »
« Oui. »
« Pourquoi ne
parles tu pas beaucoup ? »
« Pas envie… »
« C'est tout? »
« Mmmh… »
« Comment tu fais
pour ''écrire''? »
« Flinophasie. »
Elyo sentit un rire
naître dans sa gorge, mais il le retint.
« Qui es tu
vraiment? »
C'était une question
qu'il avait sur la langue depuis qu'il avait vu le garçon.
« Moi. »
« Humain? »
se risqua t-il a demandé?
« Comme toi. Je
suis. Comme... toi. »
Un vent glacé envahit le
ventre d'Elyo et il détourna les yeux.
« Tu ne sais pas
qui je suis. »
« Quelque
chose de pas vraiment humain, n’est-ce pas ? »
La réponse, non
attendue, vint telle une claque froide dans l'esprit d'Elyo. La
surprise teinta son regard, puis la colère l’enflamma. Karly avait
il envoyé ce gamin ? Avait-il compris son jeu ?
« Tais-toi! »
Fline baissa les yeux.
« Permets-moi de te
dire une dernière chose… »
Elyo, bien que désormais
méfiant, accepta.
« Quoi donc ? »
« …Heimer »
Elyo sentit soudain toute
sa muraille, sa défense, si solide, se dissiper en fumée. Comment ?
Pourquoi ? Sa conscience se mit à hurler, et déraisonné, il
tenta de comprendre. Comment se faisait-il que ce gosse connaisse ce
mot ? Était-ce Karly qui l’avait envoyé ?
« Tu sais ce que
c'est ? »
« Je… »
Bleue dit soudain:
- Qu'est ce que vous avez à vous regarder, tous les deux?
Elyo sursauta, imité de
Fline.
« Ne lui dit pas
qu’on peut parler ensemble de cette manière. » supplia
Fline.
Le petit garçon leva les
yeux vers sa sœur, et soudain sa main ondula comme un serpent. A une
vitesse phénoménale, ses doigts se levèrent, puis se plièrent,
prenant plusieurs poses, telle une chorégraphie. Elyo tenta de
comprendre, mais abandonna. Il s’éloigna.
- Elyo.
Il se retourna.
- Tu recherche l'Heimer?
Un sourire nerveux barra
ses lèvres, et aussitôt, il darda son regard sur Fline, qui
détourna les yeux, adoptant une expression neutre. Les yeux d’Elyo
revinrent sur le visage de la jeune fille.
- Comment tu sais ça ? S’écria-t-il en direction de Bleue.
- Il me l'a dit, répondit-elle en désignant Fline.
Elyo, paralysé, regarda
Bleue, puis Fline, puis Willan. Il semblait aussi stupéfait que lui.
- Sais-tu ce que c'est ? Murmura-t-il.
Le vent ne soufflait
plus, et les oiseaux s'étaient tus. Bleue plongea son regard dans le
sien.
- Je sais que c’est un projet scientifique qui existe depuis quelques années, et qui a été mis au point en Talandie, dans un laboratoire de recherche inaccessible aux yeux du monde. Et que personne sauf nous n’en connaît l’existence.
- Pourquoi t'y intéresses-tu ? Comment connais-tu cela ?
Elle resta silencieuse.
- Tu as raison, j'ai mal formulé ma question: qui es tu ? Bleue? Qui est tu ?
- … Je suis un monstre, comme toi. Murmura-t-elle. Pas vrai ?
Elyo bondit sur elle,
furibond. Un éclair jaillit des mains de Bleue, et envoya rouler
Elyo, plusieurs mètres plus loin. Il se releva, un long frisson de
colère secouant son corps. La jeune fille abaissa ses mains, le
silence abattu dans la clairière.
- Je suis comme vous. Nous sommes comme vous. Nous sommes tous des monstres. Parce…
Willan hurla:
- Ne nous compare pas avec toi ! Toi, tu… Nous…Non ! Tu ne sais pas ce qu’on a vécu ! C’est tellement facile de comparer, hein ?
Il allait se jeter à son
tour sur cette fille quand un arbre explosa hors du sol, croissant
avec une vitesse prodigieuse, élevant ses branches jusqu’au sol ;
à la manière d’une barrière entre Willan et Bleue. Fline
chancela, ses paumes plaquées contre le sol.
Le prodige stoppa le
conflit. Tous observèrent le petit garçon. Puis Elyo, honteux,
baissa les yeux. Bleue, gênée, caressa la tête brune de son jeune
frère, et Willan, tremblant, resta immobile.
- Vous... vous aussi. Vous avez...
Bleue se releva.
- Nous ne les maîtrisons pas bien. Pas bien du tout, seulement quand nous sommes face à la peur, ou à la mort. Et c’est pour cela qu’on nous a dit de rechercher l'Heimer. Cela fait deux ans, maintenant.
Elyo sourit alors.
- Nous ne sommes pas les seuls, alors.
Bleue lui envoya un
sourire délicieux.
- Nous sommes en mission pour notre ville. Mais l’Heimer nous appelle depuis longtemps, mais nous l'avons ignoré.
- Par peur ?
- Mais…, on nous a dit, qu'un jour, on rencontrerait des... gens comme nous. Mais on nous a dit d'être discrets. Nous avons considérés qu’il n’était alors pas nécessaire de s’intéresser à l’Heimer avant l’heure.
- On nous a dit la même chose, aussi...
- Depuis combien de temps les maîtrisez-vous?
- A peine deux ans...face au danger.
- Stop! Stop! On se calme!
Elyo était nerveux ;
et le fait que les autres autour de lui se mettent à parler les uns
par-dessus les autres sans s’écouter l’irritait au plus haut
point. Tout cela touchait à l’Heimer, et il avait besoin de se
concentrer, de tout entendre, et de tout comprendre.
- On se calme...On s'assoit et on discute.
Son regard obligea une
obtention de toutes les attentions, et il les obtint instantanément.
- Bien. Comment avez vous découverts que vous aviez des dons?
- On nous a révélés l’origine de nos dons dans une pièce noire. Enfin... je n’ai pas tout regardé parce que… je me suis évanouie… mais Fline lui a tout vu, et m’a raconté.
Elyo serra les points.
Bleue posa sur lui un regard légèrement inquiet et s’agita
brièvement, mal à l’aise. Willan darda son regard sur elle.
- Vous aviez dix ans, n’est-ce pas ?
- En effet. Enfin moi. Fline en avait huit ou neuf.
- Qui vous l'a dit?
- Un homme. Brun. Je ne sais pas qui c'était... Il m'a dit être mon père. Mais comme je suis orpheline je n'ai aucunes preuves. Et je ne l’ai pas cru, de toutes façons. Il a du s’en rendre compte car il n’a pas insisté.
Elyo et Willan se
glacèrent littéralement.
- A quoi ressemblait-il?
Elle réfléchit quelques
secondes, se remémorant le visage de l’homme en question.
- Et bien, brun, grand, musclé...les cheveux longs, ondulés... Un prénom étrange... Scar...Ah non... Karly…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire