vendredi 8 février 2013

9. Bleue et Fline, un duo exotique.



Une odeur de poisson frit titilla les narines de Willan. Il n'ouvrit pas les yeux. Il y avait un problème.
Son esprit l'informait que son jumeau dormait; mais l'odeur de friture ne pouvait être causée que par Elyo faisant de la cuisine. Willan se demanda un instant si la journée entière n'avait pas été qu'un rêve, qu'il n'avait jamais tué le Kalionss, qu'il n'avait jamais activé le don.
  • On se réveille?
Willan ouvrit difficilement les yeux, et curieusement ce ne furent pas les rayons du soleil qui le saluèrent, mais un captivant regard azur, qui l'observait, le figeant sur le coup. Il réagit pourtant; se jetant en arrière, et presque aussitôt, son dos lui envoya dans chaque parcelle de son corps, une flamme de douleur. Il grimaça de souffrance. Sa tête se reposa sur le sol et il chercha violemment à reprendre son souffle, se demandant ce qui se passait. Une main caressa ses cheveux noirs et il frémit à ce contact. Il leva les yeux et vit une chose extraordinaire. Une fille aux cheveux bleus, au regard azur, à la fois brûlants et gelés, captivants et envoûtant. Elle réarrangeait les mèches trempées de sueur de Willan, une expression sévère sur le visage.
  • Arrête de bouger, imbécile! Tu veux te casser le dos ?
Willan la regarda, stupéfait. Et avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la part de son esprit dédiée à Elyo s'éveilla. Sa voix cinglante jaillit :
  • Écarte-toi de mon frère !
La fille tourna la tête vers Elyo, et afficha une mine surprise. Celui-ci, la repoussa, sans délicatesse et se plaça aux cotés de Willan.
  • Tu vas bien?
Un sourire le rassura, et Elyo put de nouveau respirer. Tant mieux, songea t-il. Il se tourna alors vers la fille. Celle ci souriait aussi, mais une petite lueur peinée dans le regard.
Elle devait avoir le même âge qu'eux, et semblait très intelligente. Elle possédait une étrange chevelure saphir, coupée en carré, coupé court à l'arrière, et partait en mèches plus longues à l'avant. Sa peau blanche faisait ressortir le regard céleste de ses yeux, et ses mains blanches et fines ressemblaient à celles de princesse. Elle était habillé d'une longue chemise bleue marine qui lui allait jusqu’aux hanches, et qui était retenue d'un lacet de cuir noir. Un pantalon gris moulant, cachait ses genoux, mais ses mollets blancs étaient dénudés. Elle portait des sandales de cuir.
La jeune fille dévisagea les deux garçons.
Ils avaient tous deux un visage fin, sévère, ou la peau, mi sombre, mi halée faisaient ressortir leur yeux d'un verts foudroyants. Leurs visages pointus, comme deux chats sauvages et gracieux, étaient encadrés par des mèches noires onduleuses, leurs cachant la nuque, et une partie du cou. Leurs muscles se dessinaient gracieusement sur leur bras souples, dénudés par le port d'un T-shirt noir moulant. Bleue admira leurs jeunes corps athlétiques.
Ils ressemblaient vraiment à des chats.

Elyo comprit qu'elle avait soigné son frère avec les bandages qui était posés a ses cotés. Il lui marmonna un vague remerciement, pour son geste.
- Qui es-tu ?
La jeune fille fit une petite révérence.
  • Je me nomme Bleue.
  • Ce n'est pas très original comme choix.
Bleue tressailli sous l'insulte, mais afficha un sourire jovial. Elle décida sur le coup de détester ce garçon.
  • Je m'excuse du choix de mes parents, et te supplie d'accepter mon pardon d'être ce que je suis et de m'être imposée à ta vision si merveilleuse et géniale.
Elyo siffla, et baissant les yeux, s’excusa. Bleue accepta et se tourna vers Willan. Celui-ci rougit quand son regard croisa celui de la jeune fille, et il toussota, gêné. Bleue sourit. Ce garçon là était diffèrent de son frère.
Bleue s'assit et regarda les deux frères dans les yeux, puis dit:
  • Vous êtes étranges.
Elyo répliqua:
  • Toi aussi, le monde entier n'est pas fait de filles aux cheveux bleus. Mais les jumeaux, normalement, c'est connu.
  • Je ne parlais pas de ça, krinin.
Elyo fronça les sourcils. Krinin était une insulte modérée, mais injurieuse quand même, et selon le ton employée, elle prenait tel ou tel degré d'importance. Là, elle était cassante.
  • Vous tuez un Kalionss a vous tout seul, vous vous évanouissez, et vous vous buvez le sang... vous allez bien?
Elyo bondit sur ses pieds.
  • Tu nous as espionnés tout ce temps ?!
Elle ne répondit pas.
Elyo en resta muet, choqué.
  • Bleue? Pardonne mon frère, s'il te plaît.
Elyo se retourna. Willan se tenait l'épaule, un sourire moqueur sur le visage.
  • Tu sais, tu ne devrais toutefois pas t'occuper des affaires personnelles des gens. Ils ont des choses à cacher des fois. Un peu comme toi qui as demandé à ton petit frère de se cacher.
Bleue et Elyo sursautèrent, surpris. Elyo se retourna et scruta précipitamment les ombres de la forêt. Il n'apercevait rien. Bleue, au contraire, baissa les yeux, et se tourna vers les branches noueuses qui se tendaient vers le ciel. Elle murmura doucement.
  • Tu peux sortir, mon oiseau.
Stupéfait, Elyo vit une ombre remuer, et chuter gracieusement de l'arbre. Puis la forme se redressa et Elyo observa la petite silhouette s'avancer vers eux. Un rai de lumière l'éclaira, révélant à tout un visage enfantin.
Bleue ouvrit les bras et le serra, puis elle se tourna vers les jumeaux.
  • Voici mon oiseau; Fline.
  • C’est un garçon, non ?
  • Tsss.
Elyo et Willan comprirent que l'enfant, indubitablement, n'était pas humain.
Des yeux transparents. Ses iris ressemblaient à un cercle de cristal blanc. Sans couleurs, ni reflet. Juste la transparence. Et un sentiment de malaise oppressant.
Elyo savait que ses yeux produisaient la même impression. Il resta figé devant la ressemblance qui existait entre ce petit et lui. Le garçon tourna alors la tête vers lui.
Elyo fut foudroyé par l'absence de sentiment qui se décryptait ordinairement dans les yeux des gens. Le regard de ce garçon était vide. Pas comme s'il était idiot, passif, ou mort. Il vous regardait sans que vous ne puissiez comprendre a quoi il pensait, ou son sentiment. Il ne semblait pas vouloir les cachés, ils semblaient impossibles a lire, comme si des yeux humains se trouvaient dans l'incapacité de comprendre le regard de ce garçon. 
Fline le regarda, et soudain un éclair indéchiffrable illumina son regard néant.
L'éclair fut très rapide et Elyo capta aussitôt l'expression d'interrogation qui se lit à peine une seconde dans le regard de Fline. Mais dès qu'il eut le temps d'y penser, celle ci avait disparue.
Fline referma ses yeux et tourna le regard vers Willan. Elyo sentit sa poitrine se relâcher, et respirant de nouveau, il détailla méticuleusement le garçon.
Il devait avoir une dizaine d’année, onze tout au plus. Il était petit pour son âge, mais il avait une silhouette mince. Ses mains blanches et fines sortaient de dessous d'épaisses manches vertes. Ses cheveux noirs et raides lui arrivaient jusqu'au milieu du dos, retenus par un épais bandeau vert foncé. Une écharpe noire lui couvrait le cou, les épaules et le menton. Une bouche fine, un nez court mais droit, une peau pâle, laiteuse.
Fline dirigea de nouveau son regard vers Elyo, et de nouveau un malaise gênant emplit celui-ci.
  • Fline aura onze ans bientôt, normalement. C'est mon petit frère de lait, mais je le considère comme mon petit frère de sang. Il ne pourra toutefois pas vous répondre, car il est muet.
Elyo s'approcha lentement, et Bleue desserra son étreinte sur son frère. Le chat s'intéressait a l'oiseau, donc. Mais le chat savait il que le loup l'observait ?
  • Comment communiquez-vous alors? Demanda Willan.
  • Nous utilisons un langage que nous avons inventé: le Dalish. Nous utilisons nos mains et nos visages pour nous comprendre.
  • Tu l'as appelé toute a l'heure, et je ne t'ai pas vu utiliser ton... Dalish.
  • Fline est muet, mais pas sourd. Je peux lui poser une question normalement, mais lui me dalieras.
  • Pas dalisheras, plutôt? Continua Willan, très intéressé.
  • Non, dalieras.
Elyo resta silencieux, il fixait du regard Fline, qui faisait de même. Elyo savait que Fline était empli d'un sentiment de doute et de peur face au regard émeraude. Elyo savait que Fline le comprendrait, pour une raison inconnue. Il en était persuadé.
«Fline? Pensa-t-il mentalement. »
Les yeux transparents du garçon se vrillèrent sur l'œil droit, puis le gauche d'Elyo.
Celui-ci sentit un picotement derrière la nuque.
« Toi »
Un mot tracé en lettre immatérielle apparut dans la tête, comme, derrière les yeux d’Elyo. Il inspira.
« Comment fais-tu? Tu utilises presque la même chose que Willan. »
« Cryptophasie? »
« Oui, mais lui n’a pas besoin de prononcer les paroles, ou... de les écrire dans ma tête. »
« Flinophasie. »
Elyo explosa de rire. Le garçon aux yeux transparent se troubla et Willan et Bleue se turent.
  • Aha ha ha ! Flinophasie ! Hahaha ha ha ! Hi! C'est hilarant !
Les larmes lui montèrent aux yeux. Willan lui demanda ce qui se passait.
Elyo croisa le regard de Fline et il se calma aussitôt. Bleue continua d'expliquer a Willan ce en quoi consistait le Dalish.
  • Avec les mains, les doigts, on invente un alphabet et …
Elyo, sérieux, replongea son regard dans celui de Fline.
« Drôle? »
« Hilarant, mais je sais pas pourquoi. »
« ... »
« Dis, tu vois mes pensées, tu les lis? Comme dans les livres? »
«’’Acquiescement''»
« Tu es télépathe? »
« Oui. »
« Pourquoi ne parles tu pas beaucoup ? »
« Pas envie… »
« C'est tout? »
« Mmmh… »
« Comment tu fais pour ''écrire''? »
« Flinophasie. »
Elyo sentit un rire naître dans sa gorge, mais il le retint.
« Qui es tu vraiment? »
C'était une question qu'il avait sur la langue depuis qu'il avait vu le garçon.
« Moi. »
« Humain? » se risqua t-il a demandé?
« Comme toi. Je suis. Comme... toi. »
Un vent glacé envahit le ventre d'Elyo et il détourna les yeux.
« Tu ne sais pas qui je suis. »
« Quelque chose de pas vraiment humain, n’est-ce pas ?  »
La réponse, non attendue, vint telle une claque froide dans l'esprit d'Elyo. La surprise teinta son regard, puis la colère l’enflamma. Karly avait il envoyé ce gamin ? Avait-il compris son jeu ?
« Tais-toi! »
Fline baissa les yeux.
« Permets-moi de te dire une dernière chose… »
Elyo, bien que désormais méfiant, accepta.
« Quoi donc ? »
« …Heimer »
Elyo sentit soudain toute sa muraille, sa défense, si solide, se dissiper en fumée. Comment ? Pourquoi ? Sa conscience se mit à hurler, et déraisonné, il tenta de comprendre. Comment se faisait-il que ce gosse connaisse ce mot ? Était-ce Karly qui l’avait envoyé ?
« Tu sais ce que c'est ? »
« Je… »
Bleue dit soudain:
  • Qu'est ce que vous avez à vous regarder, tous les deux?
Elyo sursauta, imité de Fline.
« Ne lui dit pas qu’on peut parler ensemble de cette manière. » supplia Fline.
Le petit garçon leva les yeux vers sa sœur, et soudain sa main ondula comme un serpent. A une vitesse phénoménale, ses doigts se levèrent, puis se plièrent, prenant plusieurs poses, telle une chorégraphie. Elyo tenta de comprendre, mais abandonna. Il s’éloigna.
  • Elyo.
Il se retourna.
  • Tu recherche l'Heimer?
Un sourire nerveux barra ses lèvres, et aussitôt, il darda son regard sur Fline, qui détourna les yeux, adoptant une expression neutre. Les yeux d’Elyo revinrent sur le visage de la jeune fille.
  • Comment tu sais ça ? S’écria-t-il en direction de Bleue.
  • Il me l'a dit, répondit-elle en désignant Fline.
Elyo, paralysé, regarda Bleue, puis Fline, puis Willan. Il semblait aussi stupéfait que lui.
  • Sais-tu ce que c'est ? Murmura-t-il.
Le vent ne soufflait plus, et les oiseaux s'étaient tus. Bleue plongea son regard dans le sien.
  • Je sais que c’est un projet scientifique qui existe depuis quelques années, et qui a été mis au point en Talandie, dans un laboratoire de recherche inaccessible aux yeux du monde. Et que personne sauf nous n’en connaît l’existence.
  • Pourquoi t'y intéresses-tu ? Comment connais-tu cela ?
Elle resta silencieuse.
  • Tu as raison, j'ai mal formulé ma question: qui es tu ? Bleue? Qui est tu ?
  • … Je suis un monstre, comme toi. Murmura-t-elle. Pas vrai ?
Elyo bondit sur elle, furibond. Un éclair jaillit des mains de Bleue, et envoya rouler Elyo, plusieurs mètres plus loin. Il se releva, un long frisson de colère secouant son corps. La jeune fille abaissa ses mains, le silence abattu dans la clairière.
  • Je suis comme vous. Nous sommes comme vous. Nous sommes tous des monstres. Parce…
Willan hurla:
  • Ne nous compare pas avec toi ! Toi, tu… Nous…Non ! Tu ne sais pas ce qu’on a vécu ! C’est tellement facile de comparer, hein ?
Il allait se jeter à son tour sur cette fille quand un arbre explosa hors du sol, croissant avec une vitesse prodigieuse, élevant ses branches jusqu’au sol ; à la manière d’une barrière entre Willan et Bleue. Fline chancela, ses paumes plaquées contre le sol.
Le prodige stoppa le conflit. Tous observèrent le petit garçon. Puis Elyo, honteux, baissa les yeux. Bleue, gênée, caressa la tête brune de son jeune frère, et Willan, tremblant, resta immobile.
  • Vous... vous aussi. Vous avez...
Bleue se releva.
  • Nous ne les maîtrisons pas bien. Pas bien du tout, seulement quand nous sommes face à la peur, ou à la mort. Et c’est pour cela qu’on nous a dit de rechercher l'Heimer. Cela fait deux ans, maintenant.
Elyo sourit alors.
  • Nous ne sommes pas les seuls, alors.
Bleue lui envoya un sourire délicieux.
  • Nous sommes en mission pour notre ville. Mais l’Heimer nous appelle depuis longtemps, mais nous l'avons ignoré.
  • Par peur ?
  • Mais…, on nous a dit, qu'un jour, on rencontrerait des... gens comme nous. Mais on nous a dit d'être discrets. Nous avons considérés qu’il n’était alors pas nécessaire de s’intéresser à l’Heimer avant l’heure.
  • On nous a dit la même chose, aussi...
  • Depuis combien de temps les maîtrisez-vous?
  • A peine deux ans...face au danger.
  • Stop! Stop! On se calme!
Elyo était nerveux ; et le fait que les autres autour de lui se mettent à parler les uns par-dessus les autres sans s’écouter l’irritait au plus haut point. Tout cela touchait à l’Heimer, et il avait besoin de se concentrer, de tout entendre, et de tout comprendre.
  • On se calme...On s'assoit et on discute.
Son regard obligea une obtention de toutes les attentions, et il les obtint instantanément.
  • Bien. Comment avez vous découverts que vous aviez des dons?
  • On nous a révélés l’origine de nos dons dans une pièce noire. Enfin... je n’ai pas tout regardé parce que… je me suis évanouie… mais Fline lui a tout vu, et m’a raconté.
Elyo serra les points. Bleue posa sur lui un regard légèrement inquiet et s’agita brièvement, mal à l’aise. Willan darda son regard sur elle.
  • Vous aviez dix ans, n’est-ce pas ?
  • En effet. Enfin moi. Fline en avait huit ou neuf.
  • Qui vous l'a dit?
  • Un homme. Brun. Je ne sais pas qui c'était... Il m'a dit être mon père. Mais comme je suis orpheline je n'ai aucunes preuves. Et je ne l’ai pas cru, de toutes façons. Il a du s’en rendre compte car il n’a pas insisté.
Elyo et Willan se glacèrent littéralement.
  • A quoi ressemblait-il?
Elle réfléchit quelques secondes, se remémorant le visage de l’homme en question.
  • Et bien, brun, grand, musclé...les cheveux longs, ondulés... Un prénom étrange... Scar...Ah non... Karly…

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