lundi 4 février 2013

1. Les jumeaux du samedi.


Elyo, sept ans, se baladait les mains dans les poches, marchant sur le rebord assez large d'Ofyr-Lan. Derrière lui, Willan, le suivait, intimidé par la confiance de son frère, qui avançait sans la moindre crainte, défiant le vide hypnotisant.
  • Tu es sur que ce n'est pas un peu dangereux? demanda Willan, en regardant brièvement la route pavée en dessous de lui, trente mètres plus bas.
  • Willan, il n'y a que les adultes qui ont peur de faire. Et ils pensent que c'est dangereux par ce qu'ils ont peur. Es tu un adulte? Le réprimanda Elyo.
Willan déglutit sa peur, et plaça une mine courageuse sur son visage. Non. Il refusait de se montrer lâche quand son frère jumeau témoignait d'un aussi grand courage en avançant ainsi au dessus du sol, séparé par le vide par de nombreux mètres. Ses yeux s'assombrirent aussitôt. Il changea d'intérêt, questionnant son frère.
  • Elyo, c'est la première fois que tu monte sur le bord? Interrogea Willan, curieux, en suivant chaque pas de son frère.
  • Non, c'est la deuxième. Je suis monté dessus hier, et j'y ai passé la journée, et j'ai découvert plein de chemins qui vont nous éviter d'avoir descendre les escaliers lorsqu'il y aura des trous pour nous bloquer le passage, Will.
Un vague sourire courut sur les lèvres de Willan qui ne put s'empêcher d'éprouver de l'admiration profonde pour son frère. Ce dernier était audacieux, et se blessait parfois pour ses témérités, mais jamais sa volonté de se dépasser ne faiblissait, et pour cela, il était digne d'admiration. Ce dernier se retourna, et tendit la main à Willan qui s'en empara. Ils sautèrent du rebord de la passerelle aux dalles; un mètre plus bas, sur le sol crayeux d'Ofyr-Lan; encore vide de tout passage piéton, à cette heure matinale de la journée. Les jumeaux restèrent une seconde silencieux, puis Elyo, observant un vol d'oiseaux passer au dessus de leurs têtes dans ce ciel encore rose, interrogea mentalement Willan, qui intrigué par l'intérêt de son frère, leva à son tour la tête. Il observa les oiseaux, et particulièrement doué de connaissances, quelque soit le critère; commenta.
- Ce sont des Juans. Des oiseaux exotiques. C'est étrange de les voir ici, normalement ils vivent dans les tropiques.
L'intérêt de Willan pour la nature, les animaux et autres êtres vivants l’avait pourvu d'une connaissance incroyable sur le sujet, malgré son jeune âge. De ce fait, si Willan admirait Elyo pour sa capacité à surmonter les plus hauts obstacles, ce dernier admirait son jeune frère pour son intelligence, sa mémoire, et sa curiosité naturelle. Elyo savait pertinemment qu'il ne pouvait égaler Willan sur ce point, et compensait sa différence intellectuelle en cherchant à toujours savoir le maximum de choses. Cependant, c'était loin d'égaler Willan qui dévorait les livres avec un appétit d'ogre. Ce dernier étira ses jambes, et continua d'une voix douce, laissant s'échapper les informations avec un calme agréable, qui fit aussitôt intégrer la notion à Elyo.
  • Les Juans ont aussi la particularité de posséder un chant capable dé guérir les problèmes mentaux. Cependant, on en ignore la raison.
  • Sérieusement?
Elyo avait écarquillés ses grands yeux verts, stupéfait par le don des Juans. Il releva aussitôt son regard vers le ciel, où le banc des oiseaux, ces derniers de couleur pourpre, disparaissait à l'horizon. Il reposa aussitôt ses yeux sur Willan, frémissant d'excitation.
  • Will! Allons à la bibliothèque?
  • Quoi? Pourquoi?
  • Ne pose pas de questions! Viens, je te dis!
Les jumeaux se relevèrent, et cette fois-ci, s'engagèrent directement sur la passerelle, sans passer par le rebord, se mirent à courir, traversant ainsi la ville. A foulées régulières, les enfants traversèrent la ville. Elyo courait en avant, le regard sombre, déterminé. Si Willan avait raison, ce dont il ne doutait pas, il avait alors besoin de récupérer un Juan pour se guérir, lui et son frère. Les crises du samedi existaient maintenant depuis sept ans. Ils avaient grandis avec, et chaque semaine, cela devenait un peu plus insupportable. La crainte de voir arriver le samedi, comme une torture incessante le terrifiait. Il détestait vivre dans l'idée qu'il puisse être martyrisé par son propre corps. Cette idée le révulsait, tout autant qu'il voyait Willan livré à cette même douleur.
Un souvenir obscurcit son esprit.

~ Les cris provenaient de la chambre. Les savants, affolés, vinrent à la rescousse. Dans une belle émeute, tous montèrent dans la chambre, à l'étage, dans le laboratoire. Le soleil venait de se lever, et inondait la pièce d'une lumière blanche, éclatante.
C'était sublime, parfait.
Jusqu'au hurlement de Willan. Les dix hommes en blouse blanches se précipitèrent. Des ordres fusèrent, des bousculades s'amplifièrent, et un cri très long et strident vint stopper le chahut.
Elyo, inondé de lumière, la tête renversée en arrière, a genoux sur le sol, pleurait. Du sang.
Pour la première fois de sa vie. Son père bondit vers lui. Ses bras puissants immobilisèrent le corps fragile de son fils, et ce qui pouvait ressembler un instant a une étreinte, devint soudain un véritable combat. Elyo, se délivra de l'étau de muscle avec une rapidité incroyable, et rapide comme l'éclair, se rua vers le lit de Willan. Celui-ci, se jeta sur lui, et l'immobilisa .Elyo rugit de rage et envoya ses pieds dans l'abdomen de son jumeau. Celui-ci se jeta en arrière, et se rétabli a quatre pattes, de la manière d'un animal. Elyo, terrifiant, tourna soudain son regard émeraude vers le groupe d’hommes tétanisés, qui assistaient à la scène avec stupeur. Dans un ensemble parfait, les deux enfants bondirent sur les dix scientifiques, une étincelle meurtrière enflammant leur regard. Les hommes hurlèrent de peur et se jetèrent au sol. Seul le père resta debout, se battant contre ses propres enfants. Évidemment, il ne les frappait pas, il feintait, esquivait, bondissait, bloquait. Mais tandis, que les coups des jumeaux s'amplifiaient, sa rapidité baissait, à lui. Il fit un pas en arrière, et son pied glissa sur un câble. Elyo profita de ce moment là pour lui en foncer un poing dévastateur dans le sternum. L'homme s'effondra, inerte.
Elyo regarda autour de lui ; les hommes s'étaient enfuis, et seul Willan lui faisait encore face. Elyo sentit la rage s'amplifier en lui, et il bondit sur son frère. Ses doigts s'enfoncèrent dans le cou de Willan, ce dernier, tourna sur lui même, et enfonça ses coudes repliés dans les cotes flottantes de son ainé.
Le combat aurait put très mal terminer, si une ombre ne s'était soudain pas dressé entre les deux combattants, les frappants tous deux a la nuque. L'ombre rattrapa à temps les deux petits corps inertes. Puis, silencieuse, les déposa respectivement dans leur lit. Puis, la silhouette sortit de sa poche un poison léger, sous forme déshydratée, et fit glisser le tout dans la gorge des Spirtyan. Puis, elle disparut.
Quand le père, Karly Spirtyan se réveilla, il eut l'agréable surprise de ne pas trouver sa maison et son laboratoire détruits, et ses deux garçons dormants dans leurs lits d'examination. Karly sourît, il savait ce qui s'était passé. Il alla près de ses garçons, les embrassa, remit leur couvertures, réveilla les dix hommes, les renvoya, puis alla se coucher, une forte migraine l'empêchant de réfléchir davantage. ~

(...)

Focalisant son attention sur la réalité, Elyo nota qu'ils étaient arrivés face à la bibliothèque d'Ofyr-Lan. Celle-ci, gigantesque battisse de pierre ressemblait vaguement a un vieux temple. Des statues de dragons et de lions aux traits intimidants, tenant un lys entre leurs griffes, regardaient les passants avec des regards profonds, et intelligents, dans des attitudes laissant imaginer que leurs moustaches de pierre frémissaient sous leur souffle, et que le vent faisait onduler les poils de leurs robes ou de leurs écailles. Elyo passa devant les statues, se subtilisant à leur attentions dantesques, et posant ses doigts sur la porte massive de la bibliothèque, s'y appuya, faisant pivoter cette dernière sur ces gonds.
A l'intérieur, les jumeaux baissèrent les yeux, et avancèrent en silence. Les lieux étaient remplis d'habitants de Faier- Hayrdhann. Et ici, dans cette ville, une haine héréditaire s'était transmise; les jumeaux étaient considérés comme des monstres.
Ils ne savaient pas pourquoi, et on n’avait pas pris la peine de leur expliquer. Ils étaient des bêtes que l'on ne regardait pas, mais dont on savait tout. Leurs traits métis et leurs yeux verts étaient inscrits dans la mémoire des adultes et des enfants, car tout le monde savait pour la malédiction, et tout le monde les affublaient de relation avec le diable. Ils étaient des enfants du péché, des enfants maudits dont la souffrance n'était que pure vengeance. Personne ne connaissait les origines de Karly, qui s'étaient installés huit ans plus tôt avec sa femme. Les rumeurs se colportaient à son compte, et les gens médisaient sur sa possible carrière avec des mafieux. Faier-Hayrdhann. On s’était mis très tôt à brutaliser les jumeaux qui avaient appris à nourrir cette rancœur violente envers les habitants. Une haine commune qui découlait d'une incertitude, d'une légende démoniaque.
Ignorant les commentaires qui naissaient à voix basse près d'eux, sur leur chemin, les jumeaux se rendirent près d'un bureau de fer, au centre de la salle. Y était installé une Zyphanelle, une des créatures les plus intelligentes de ce monde. Créature longiligne à la peau couleur bronze, arborant une paire de corne frontale, des yeux bleus azur et des cheveux à la blancheur délavée, cette dernière les regarda arriver sans aucune expression dans le regard; les Zyphanelles ne croyaient en rien de ce qui n’était pas rationnel. Même si elle savait pour la pathologie des garçons, elle ne croyait pas que ce fut à cause d'une malédiction, et par conséquent, ne cherchant pas à entretenir une relation de haine avec eux. Elle ne cherchait à entretenir aucune relation avec aucun humain de cette ville, en fait. Aussi, les garçons relevèrent un regard timide vers son visage de bronze, plus intimidés par les yeux bleus qu'autre chose.
  • Excusez moi... pensez vous qu'un chant de Juan aurait la possibilité de guérir de tous les problèmes mentaux?
  • ... Je sais pourquoi vous demandez cela, jeunes hommes, ronronna la Zyphanelle d'une voix légèrement inquiétante. Mais vous perdez votre temps. Les voix des Juans sont inefficaces pour votre pathologie.
Elyo et Willan restèrent silencieux, puis lentement reculèrent. Une immense déception s'était inscrite sur leurs traits, à la manière d'un masque tragique, dont ils ne parviendraient à se détacher. Ils remercièrent vaguement la Zyphanelle, puis reculant, se laissèrent aller à la sortie, pensifs.

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