Elyo, sept ans, se
baladait les mains dans les poches, marchant sur le rebord assez
large d'Ofyr-Lan. Derrière lui, Willan, le suivait, intimidé par la
confiance de son frère, qui avançait sans la moindre crainte,
défiant le vide hypnotisant.
- Tu es sur que ce n'est pas un peu dangereux? demanda Willan, en regardant brièvement la route pavée en dessous de lui, trente mètres plus bas.
- Willan, il n'y a que les adultes qui ont peur de faire. Et ils pensent que c'est dangereux par ce qu'ils ont peur. Es tu un adulte? Le réprimanda Elyo.
Willan déglutit sa peur,
et plaça une mine courageuse sur son visage. Non. Il refusait de se
montrer lâche quand son frère jumeau témoignait d'un aussi grand
courage en avançant ainsi au dessus du sol, séparé par le vide par
de nombreux mètres. Ses yeux s'assombrirent aussitôt. Il changea
d'intérêt, questionnant son frère.
- Elyo, c'est la première fois que tu monte sur le bord? Interrogea Willan, curieux, en suivant chaque pas de son frère.
- Non, c'est la deuxième. Je suis monté dessus hier, et j'y ai passé la journée, et j'ai découvert plein de chemins qui vont nous éviter d'avoir descendre les escaliers lorsqu'il y aura des trous pour nous bloquer le passage, Will.
Un vague sourire courut
sur les lèvres de Willan qui ne put s'empêcher d'éprouver de
l'admiration profonde pour son frère. Ce dernier était audacieux,
et se blessait parfois pour ses témérités, mais jamais sa volonté
de se dépasser ne faiblissait, et pour cela, il était digne
d'admiration. Ce dernier se retourna, et tendit la main à Willan qui
s'en empara. Ils sautèrent du rebord de la passerelle aux dalles; un
mètre plus bas, sur le sol crayeux d'Ofyr-Lan; encore vide de tout
passage piéton, à cette heure matinale de la journée. Les jumeaux
restèrent une seconde silencieux, puis Elyo, observant un vol
d'oiseaux passer au dessus de leurs têtes dans ce ciel encore rose,
interrogea mentalement Willan, qui intrigué par l'intérêt de son
frère, leva à son tour la tête. Il observa les oiseaux, et
particulièrement doué de connaissances, quelque soit le critère;
commenta.
- Ce sont des Juans. Des
oiseaux exotiques. C'est étrange de les voir ici, normalement ils
vivent dans les tropiques.
L'intérêt de Willan
pour la nature, les animaux et autres êtres vivants l’avait pourvu
d'une connaissance incroyable sur le sujet, malgré son jeune âge.
De ce fait, si Willan admirait Elyo pour sa capacité à surmonter
les plus hauts obstacles, ce dernier admirait son jeune frère pour
son intelligence, sa mémoire, et sa curiosité naturelle. Elyo
savait pertinemment qu'il ne pouvait égaler Willan sur ce point, et
compensait sa différence intellectuelle en cherchant à toujours
savoir le maximum de choses. Cependant, c'était loin d'égaler
Willan qui dévorait les livres avec un appétit d'ogre. Ce dernier
étira ses jambes, et continua d'une voix douce, laissant s'échapper
les informations avec un calme agréable, qui fit aussitôt intégrer
la notion à Elyo.
- Les Juans ont aussi la particularité de posséder un chant capable dé guérir les problèmes mentaux. Cependant, on en ignore la raison.
- Sérieusement?
Elyo avait écarquillés
ses grands yeux verts, stupéfait par le don des Juans. Il releva
aussitôt son regard vers le ciel, où le banc des oiseaux, ces
derniers de couleur pourpre, disparaissait à l'horizon. Il reposa
aussitôt ses yeux sur Willan, frémissant d'excitation.
- Will! Allons à la bibliothèque?
- Quoi? Pourquoi?
- Ne pose pas de questions! Viens, je te dis!
Les jumeaux se
relevèrent, et cette fois-ci, s'engagèrent directement sur la
passerelle, sans passer par le rebord, se mirent à courir,
traversant ainsi la ville. A foulées régulières, les enfants
traversèrent la ville. Elyo courait en avant, le regard sombre,
déterminé. Si Willan avait raison, ce dont il ne doutait pas, il
avait alors besoin de récupérer un Juan pour se guérir, lui et son
frère. Les crises du samedi existaient maintenant depuis sept ans.
Ils avaient grandis avec, et chaque semaine, cela devenait un peu
plus insupportable. La crainte de voir arriver le samedi, comme une
torture incessante le terrifiait. Il détestait vivre dans l'idée
qu'il puisse être martyrisé par son propre corps. Cette idée le
révulsait, tout autant qu'il voyait Willan livré à cette même
douleur.
Un souvenir obscurcit son
esprit.
~ Les cris provenaient
de la chambre. Les savants, affolés, vinrent à la rescousse. Dans
une belle émeute, tous montèrent dans la chambre, à l'étage, dans
le laboratoire. Le soleil venait de se lever, et inondait la pièce
d'une lumière blanche, éclatante.
C'était sublime,
parfait.
Jusqu'au hurlement de
Willan. Les dix hommes en blouse blanches se précipitèrent. Des
ordres fusèrent, des bousculades s'amplifièrent, et un cri très
long et strident vint stopper le chahut.
Elyo, inondé de
lumière, la tête renversée en arrière, a genoux sur le sol,
pleurait. Du sang.
Pour la première
fois de sa vie. Son père bondit vers lui. Ses bras puissants
immobilisèrent le corps fragile de son fils, et ce qui pouvait
ressembler un instant a une étreinte, devint soudain un véritable
combat. Elyo, se délivra de l'étau de muscle avec une rapidité
incroyable, et rapide comme l'éclair, se rua vers le lit de Willan.
Celui-ci, se jeta sur lui, et l'immobilisa .Elyo rugit de rage et
envoya ses pieds dans l'abdomen de son jumeau. Celui-ci se jeta en
arrière, et se rétabli a quatre pattes, de la manière d'un animal.
Elyo, terrifiant, tourna soudain son regard émeraude vers le groupe
d’hommes tétanisés, qui assistaient à la scène avec stupeur.
Dans un ensemble parfait, les deux enfants bondirent sur les dix
scientifiques, une étincelle meurtrière enflammant leur regard. Les
hommes hurlèrent de peur et se jetèrent au sol. Seul le père resta
debout, se battant contre ses propres enfants. Évidemment, il ne les
frappait pas, il feintait, esquivait, bondissait, bloquait. Mais
tandis, que les coups des jumeaux s'amplifiaient, sa rapidité
baissait, à lui. Il fit un pas en arrière, et son pied glissa sur
un câble. Elyo profita de ce moment là pour lui en foncer un poing
dévastateur dans le sternum. L'homme s'effondra, inerte.
Elyo regarda autour de
lui ; les hommes s'étaient enfuis, et seul Willan lui faisait encore
face. Elyo sentit la rage s'amplifier en lui, et il bondit sur son
frère. Ses doigts s'enfoncèrent dans le cou de Willan, ce dernier,
tourna sur lui même, et enfonça ses coudes repliés dans les cotes
flottantes de son ainé.
Le combat aurait put
très mal terminer, si une ombre ne s'était soudain pas dressé
entre les deux combattants, les frappants tous deux a la nuque.
L'ombre rattrapa à temps les deux petits corps inertes. Puis,
silencieuse, les déposa respectivement dans leur lit. Puis, la
silhouette sortit de sa poche un poison léger, sous forme
déshydratée, et fit glisser le tout dans la gorge des Spirtyan.
Puis, elle disparut.
Quand le père, Karly
Spirtyan se réveilla, il eut l'agréable surprise de ne pas trouver
sa maison et son laboratoire détruits, et ses deux garçons dormants
dans leurs lits d'examination. Karly sourît, il savait ce qui
s'était passé. Il alla près de ses garçons, les embrassa, remit
leur couvertures, réveilla les dix hommes, les renvoya, puis alla
se coucher, une forte migraine l'empêchant de réfléchir davantage.
~
(...)
Focalisant son attention
sur la réalité, Elyo nota qu'ils étaient arrivés face à la
bibliothèque d'Ofyr-Lan. Celle-ci, gigantesque battisse de pierre
ressemblait vaguement a un vieux temple. Des statues de dragons et de
lions aux traits intimidants, tenant un lys entre leurs griffes,
regardaient les passants avec des regards profonds, et intelligents,
dans des attitudes laissant imaginer que leurs moustaches de pierre
frémissaient sous leur souffle, et que le vent faisait onduler les
poils de leurs robes ou de leurs écailles. Elyo passa devant les
statues, se subtilisant à leur attentions dantesques, et posant ses
doigts sur la porte massive de la bibliothèque, s'y appuya, faisant
pivoter cette dernière sur ces gonds.
A l'intérieur, les
jumeaux baissèrent les yeux, et avancèrent en silence. Les lieux
étaient remplis d'habitants de Faier- Hayrdhann. Et ici, dans cette
ville, une haine héréditaire s'était transmise; les jumeaux
étaient considérés comme des monstres.
Ils ne savaient pas
pourquoi, et on n’avait pas pris la peine de leur expliquer. Ils
étaient des bêtes que l'on ne regardait pas, mais dont on savait
tout. Leurs traits métis et leurs yeux verts étaient inscrits dans
la mémoire des adultes et des enfants, car tout le monde savait pour
la malédiction, et tout le monde les affublaient de relation avec le
diable. Ils étaient des enfants du péché, des enfants maudits dont
la souffrance n'était que pure vengeance. Personne ne connaissait
les origines de Karly, qui s'étaient installés huit ans plus tôt
avec sa femme. Les rumeurs se colportaient à son compte, et les gens
médisaient sur sa possible carrière avec des mafieux.
Faier-Hayrdhann. On s’était mis très tôt à brutaliser les
jumeaux qui avaient appris à nourrir cette rancœur violente envers
les habitants. Une haine commune qui découlait d'une incertitude,
d'une légende démoniaque.
Ignorant les commentaires
qui naissaient à voix basse près d'eux, sur leur chemin, les
jumeaux se rendirent près d'un bureau de fer, au centre de la salle.
Y était installé une Zyphanelle, une des créatures les plus
intelligentes de ce monde. Créature longiligne à la peau couleur
bronze, arborant une paire de corne frontale, des yeux bleus azur et
des cheveux à la blancheur délavée, cette dernière les regarda
arriver sans aucune expression dans le regard; les Zyphanelles ne
croyaient en rien de ce qui n’était pas rationnel. Même si elle
savait pour la pathologie des garçons, elle ne croyait pas que ce
fut à cause d'une malédiction, et par conséquent, ne cherchant pas
à entretenir une relation de haine avec eux. Elle ne cherchait à
entretenir aucune relation avec aucun humain de cette ville, en fait.
Aussi, les garçons relevèrent un regard timide vers son visage de
bronze, plus intimidés par les yeux bleus qu'autre chose.
- Excusez moi... pensez vous qu'un chant de Juan aurait la possibilité de guérir de tous les problèmes mentaux?
- ... Je sais pourquoi vous demandez cela, jeunes hommes, ronronna la Zyphanelle d'une voix légèrement inquiétante. Mais vous perdez votre temps. Les voix des Juans sont inefficaces pour votre pathologie.
Elyo et Willan restèrent
silencieux, puis lentement reculèrent. Une immense déception
s'était inscrite sur leurs traits, à la manière d'un masque
tragique, dont ils ne parviendraient à se détacher. Ils
remercièrent vaguement la Zyphanelle, puis reculant, se laissèrent
aller à la sortie, pensifs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire